Dans le jet privé qui le ramenait à San Gavino, Joachim de Bourbon-Conti ressassait toujours les phrases assassines de People and More. Il ne comprenait pas cet acharnement et à quelques semaines d'un anniversaire qu'il redoutait toujours autant, il avait les nerfs à fleur de peau.
Il repensa à cette sale petite garce qui lui avait tendu un piège : c'était elle qui lui avait sauté dessus, pas lui. Il aurait dû se sentir honoré que cette fille manifeste autant d'intérêt pour lui mais il s'était rappelé, à temps, sa décision de se tenir à carreau quelques mois. Cela lui en coûtait mais il refusait que le public et surtout que les potentiels partenaires commerciaux de San Gavino continuent à le croire incompétent.
Lors de son séjour new-yorkais, son intelligence et sa grande faculté d'adaptation lui avaient permis d'attirer d'importants clients pour McKinsey & Company, l'entreprise pour laquelle il avait travaillé durant quatre ans.
Qu'ils demandent, ces bouffons, à celui qui l'avait coaché pendant toutes ces années s'il était incompétent...
Ce n'était pas son père qui avait développé le commerce de luxe à San Gavino, ce n'était pas son père qui avait réussi à convaincre LVMH et The Swatch Group de disposer d'un bureau dans la capitale et ce n'était pas son père qui avait aidé à la création d'un studio d'enregistrement dernier cri où les plus grandes stars mondiales défilaient semaine après semaine.
Il développait le pays et tout le monde ne voyait que ses frasques et ses pétages de plomb à la moindre contrariété
Quelles frasques d'ailleurs ?
Depuis quand était-il interdit de s'accorder du bon temps ? Il ne faisait que profiter de la vie, il ne commettait aucun crime. Ce n'était quand même pas de sa faute si les femmes le trouvaient attirant.
S'acoquiner avec des voleurs ? Jamais de la vie. Cette histoire de mafia albanaise était de la pure invention.
Quant à ses soi-disant caprices...il appréciait les bonnes choses, il avait l'argent, il ne voyait pas pourquoi il se priverait.
Joachim songea ensuite à cet article qu'il avait repéré dans le plus grand quotidien du pays au sujet du suicide de cette fille qui avait travaillé au palais.
Oui, il l'avait virée mais devait-il tolérer que ses employées fouillent sa garde-robe et s'immiscent dans sa vie privée ?
Il savait qu'il répandait la terreur au sein du personnel du palais mais il n'en éprouvait aucun état d'âme. Parce qu'il était membre d'une famille royale il devait faire preuve de mansuétude ? Et puis quoi encore ?
Le prince prit ensuite le document rédigé par Gary, son conseiller en communication, en soupirant : ce gars n'était là que depuis six mois et il voulait à tout prix changer sa manière de fonctionner.
Le jeune homme parcourut la liste des recommandations proposées : selon Gary, il devait s'investir dans une fondation à but caritatif, il devait effectuer un voyage en Afrique pour témoigner de son soutien aux populations pauvres et il devait organiser plus d'évènements publics afin de rencontrer les habitants de San Gavino.
A la note, était agrafé le classement d'un magazine très sérieux au sujet des personnalités royales les plus appréciées dans le monde.
Devait-il aller combattre en Afghanistan comme le prince Harry ? Créer un prix à l'instar de ce qui se faisait en Espagne ? Participer aux Jeux olympiques comme Albert de Monaco ?
Naturellement personne ne pouvait comprendre que sa froideur était pour lui le seul moyen de se protéger. Même s'il n'était pas emprunté et ne manquait ni de naturel ni de spontanéité, Joachim savait qu'il n'était pas considéré comme un modèle à suivre.
Rentrer dans le moule ? Hors de question.
Il souffrait trop depuis dix ans des règles que lui imposait son père et il n'avait trouvé qu'un seul moyen pour combattre sa solitude. Son arrogance et ses sarcasmes étaient ses uniques possibilités de défense contre le roi et il devait reconnaitre qu'il prenait plaisir à le contrarier chaque jour en refusant d'adopter une attitude plus conventionnelle.
Gary lui avait conseillé de songer à sa popularité et il lui avait rétorqué qu'il s'en fichait éperdument. Le royaume se développait, ses revenus et ceux du pays augmentaient, c'était tout ce qui comptait pour lui.
- Votre Altesse ?
- Quoi encore ? Je lis votre fichu document, vous devriez être content !
Sans se laisser démonter par l'attitude hostile du prince héritier, son conseiller en communication poursuivit :
- Vous n'êtes pas sans savoir que le député Markus De Rietberg souhaite faire voter un amendement au sujet de la dotation royale ?
- Celui-là...
- Je pense que vous devriez soutenir son projet.
Joachim faillit recracher à la figure de Gary le verre de vin qu'il était occupé de boire tranquillement.
- Vous êtes tombé sur la tête ?
- Attendez ! Laissez-moi vous expliquer Votre Altesse.
- Il n'y a rien à expliquer. Je ne vais quand même pas demander au parlement de réduire la somme qui permet à ma famille de faire fonctionner le pays tout de même !
- Justement. Si vous vouliez bien me laisser parler...
Le Parlement pourvoit à la plupart des dépenses officielles à l'aide des fonds publics et de subventions. La Liste Civile couvre la plupart des dépenses : les dépenses de personnel, la sécurité, l'entretien des résidences royales, les visites d'État, les engagements et les divertissements officiels. À l'heure actuelle, même s'il n'y a aucune obligation de les déclarer, tout le monde sait que les montants que rapporte le Domaine Royal dépassent largement ceux de la Liste Civile et des subventions prévues par la loi. Hors, le gouvernement a publié récemment l'état des lieux des frais supportés par la Liste Civile : depuis cinq ans, le montant ne cesse d'augmenter et la question du coût de la monarchie est devenue un point sensible qui agite régulièrement les sessions parlementaires. Nous sommes en période de crise Votre Altesse, pensez-y. Et vous allez devoir faire un effort de transparence pour asseoir votre légitimité. Que vous le vouliez ou non.
- Venez-en au fait Gary.
Le conseiller hésita : il savait que ce qu'il allait proposer relevait du suicide pur et simple mais l'image de Joachim de Bourbon-Conti était telle qu'il ne voyait pas comment il pourrait s'enfoncer plus encore.
Le coût de la monarchie à San Gavino avoisinait les soixante millions d'euro. Pour la partie visible de l'iceberg. Les dépenses relatives aux voyages et activités privées de la famille royale étaient sans doute le secret le mieux gardé du royaume même si, de l'avis de Gary, elles n'étaient pas si compliquées à évaluer.
La proposition du député De Rietberg faisait suite à un document qui détaillait la répartition de la prise en charge des coûts de la monarchie, chiffres à l'appui. Les voyages officiels étaient ainsi financés par le ministère des Affaires étrangères, la sécurité du chef de l'État par le ministère de l'Intérieur, le coût de la garde royale était puisé dans les caisses du ministère de la Défense, l'entretien des palais et des monuments royaux était assumé par le service du Patrimoine national, et la gestion du parc des véhicules officiels de la maison royale dépendait de son côté du ministère des Finances.
Ce rapport exigé par Markus De Rietberg, membre de l'opposition, et publié sur le site internet de la famille royale, avait fait grand bruit et il avait surtout suscité l'indignation au sein de la population de San Gavino. Le parti des Démocrates de San Gavino, le parti possédant la majorité absolue au parlement, avait immédiatement riposté en indiquant qu'une étude récente en France avait démontré que la République était bien plus coûteuse qu'une monarchie. Mais Gary avait bien compris qu'il devenait urgent pour le prince héritier et sa famille de réagir.
En pesant ses mots le conseiller débuta son argumentation tout en restant très attentif aux réactions non verbales du prince Joachim.
Son explosion de fureur quelques instants plus tard vint confirmer ses craintes :
- Donc, si je reprends votre brillante idée, je dois convaincre ma famille de diminuer ses dépenses, je dois leur demander de limiter ce que vous appelez le superflu et de ne plus consommer des produits de luxe. Je dois persuader mon frère et ma sœur de venir étudier à San Gavino, je dois amener mon père à revendre son yacht personnel et...quoi déjà ? Ah oui, je devrais annoncer que j'accepte que ma dotation soit réduite de cinquante pourcent et, bien entendu, indiquer que le projet de ce connard de Markus De Rietberg est une excellente idée.
Mais Gary ne se laissa pas démonter et il décida d'enfoncer le clou :
- C'est bien cela Votre Altesse. J'ajouterai que vous pourriez ensuite faire une communication en indiquant que l'argent économisé sera réinvesti par exemple dans les écoles du pays, dans les associations qui aident les personnes défavorisées, les hôpitaux, la recherche,...
Joachim ouvrit la bouche pour la refermer aussitôt. Il avait mal à la tête, il était fatigué et à nouveau, tandis qu'il écoutait son conseiller parler, un visage féminin était apparu dans son esprit.
Que lui arrivait-il ? Elle n'était qu'une femme parmi les autres. Pourquoi n'arrêtait-il pas de penser à ELLE ?
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Ah bah encore un nouveau personnage...
Vous en pensez quoi de Gary ?
Et qu'arrive t-il à notre cher Joachim ?