Dans sa chambre, Anthony tournait en rond comme un lion en cage. Il ne cessait de penser à Maddie et à la distance qui s'était installée entre eux. Il songeait à leur complicité qui s'effritait peu à peu, remplacée par une froideur nouvelle.
Était-ce simplement dû à son entrée chez les Alpha Delta ? Ou était-ce le signe d'un changement profond dans leur relation ? Non, Anthony ne pouvait pas croire ça.
Il savait qu'intégrer une université différente de celle de Maddie signifiait moins de temps à passer ensemble mais il était confiant dans leur couple.
Anthony ne comprenait pas pourquoi Maddie réagissait si mal à son entrée dans sa fraternité. Elle-même avait rejoint une sororité et Anthony n'avait rien vu à redire dessus. Elle faisait ce qu'elle voulait et choisissait les groupes comme bon lui semblait. Maddie devrait penser la même chose pour lui. Enfin, normalement, se disait Anthony.
On toqua à la porte.
— Tony ? s'écria une voix.
C'était Andrew, un des « frères » d'Anthony particulièrement impliqué dans son intégration au sein de la fraternité. Ils s'entendaient très bien tous les deux. Dans son caractère, Andrew ressemblait beaucoup à Ashton, le meilleur ami d'Anthony qui était parti à l'autre bout du pays.
Andrew ouvrit la porte si brusquement que le battant alla taper violemment contre le mur. Il portait un costume de super-héros. Sa combinaison extra moulante mettait en valeur chacun de ses muscles.
— T'es pas prêt ? s'étonna-t-il. Qu'est-ce que tu fous ? La soirée a démarré, mec !
Anthony esquissa un sourire.
— Le thème n'était pas « fantôme et cimetière » ?
Andrew croisa les bras, faisant ressortir ses pectoraux.
— Et cacher ça ? Quel gâchis !
Anthony éclata de rire.
— C'est ça. Quel gâchis !
— Si toi tu veux enfiler un vieux drap et être anti sexy, fais toi plaisir mon gars ! Mais fais ça vite, on n'attend plus que toi !
— Qui ça ?
— Moi, je t'attends déjà. C'est pas suffisant ?
Anthony lui sourit.
— J'arrive. Laisse moi cinq minutes.
Andrew tendit le bras vers le ciel, comme s'il s'apprêtait à décoller dans les airs comme Superman, et sortit de la chambre en courant. Anthony l'entendit dévaler bruyamment l'escalier.
Il s'avança vers la porte et la ferma. Il fit glisser son pantalon sur ses jambes jusqu'au sol avant d'ôter son tee-shirt. Il attrapa son déguisement de zombie et l'enfila.
Il se couvrit grossièrement le visage de maquillage blanc et s'entoura les yeux de noir. Il ajouta du rouge tout autour de sa bouche et jeta un œil au résultat dans le miroir. Ce n'était franchement pas terrible, et certainement pas effrayant, mais cela suffirait.
Il voulut prendre son téléphone avec lui mais il ne le trouva pas, tombé sous son lit. Il haussa les épaules, il n'en avait pas franchement besoin de toute façon.
Il quitta sa chambre et s'engagea dans l'escalier surchargé de citrouilles évidées et éclairées de l'intérieur par des bougies.
Au rez-de-chaussée, toutes les pièces étaient combles. Le salon était bondé d'une masse de fêtards costumés qui sautaient en rythme sur la musique assourdissante qui résonnait et faisait trembler les murs.
Les éclats de rires et les braillements se mélangeaient dans un joyeux vacarme. Absolument tous les gens présents portaient des costumes et la plupart n'en avaient visiblement que faire du thème, notamment les filles déguisées en infirmières ou mères Noël.
Anthony se servit un verre avant de rejoindre un groupe de membres de la fraternité. La conversation était animée, certains étant déjà bien imbibés. Anthony avait bien remarqué que lors de toutes les soirées qui avaient lieu dans leur résidence, l'alcool coulait à flot. Lui n'était pas un adepte de l'ivresse, il se contentait de boire un ou deux verres, et laissait le reste aux autres.
Il suivait la conversation mais intervenait peu, le sujet principal – les filles peu vêtues – ne l'intéressait pas. Et il avait la tête ailleurs. Il ne cessait de penser à Maddie. Au fait que pour la première fois depuis qu'ils s'étaient mis en couple, il n'avait pas été totalement honnête avec elle. Il ne lui avait pas avoué pourquoi il avait rejoint cette fraternité. Et c'était tout simplement parce qu'il s'était contenté de ce qu'il avait pu obtenir.
Il ne s'était pas intéressé à beaucoup de groupes, pensant que l'admission était aisée pour chacune. Mais ce n'était pas le cas. La seule qui l'avait finalement recrutée ; c'était celle des Alpha Delta. Alors, oui, elle était loin de faire rêver et ne s'investissait dans aucun gros projet sur le campus mais elle permettait à Anthony de se sentir appartenir à un groupe et de se faire des amis.
Stanfild était une immense université, bien plus que celle de Felice, et Anthony n'aurait pas su comment connaître du monde autrement. Anthony était un garçon timide et réservé, et s'il avait été populaire pendant toutes ses années de lycée, c'était grâce au foot et à son physique avantageux.
Alors était-ce par fierté ou par honte qu'il n'avait encore rien dit à Maddie et qu'il n'aimait pas aborder le sujet ? Ça, il ne le savait pas mais il était bien conscient qu'il ne devrait pas tarder à en parler à cœur ouvert avec sa petite amie s'il ne voulait pas qu'elle s'éloigne encore un peu plus de lui.
S'ennuyant ferme à écouter ses colocs parler des diablesses et vampires aux décolletés plongeants qui se trémoussaient devant eux, il finit par aller se chercher un shot de tequila et l'avala d'un trait. Il se cala ensuite sur un coin d'un canapé et observa les personnes qui l'entouraient.
La plupart étaient des inconnus. Halloween était une fête qu'Anthony appréciait habituellement. Il aurait aimé la passer avec Maddie mais celle-ci lui avait clairement signifié que vu comment se déroulaient les soirées dans sa fraternité, elle préférait s'abstenir de venir. Et elle ne l'avait pas invité à venir dans sa sororité car elle n'organisait pas de soirée.
L'attention d'Anthony fut subitement attirée par un mouvement devant lui. Il releva le menton et croisa le regard d'une brunette vêtue d'une robe courte noire en cuir et de talons aiguilles. Elle était autant sexy que vulgaire.
Anthony tourna la tête mais la fille se rapprocha jusqu'à danser à quelques centimètres de lui, son entrejambe arrivant juste au niveau du visage du jeune homme. Particulièrement gêné par cette position, Anthony se leva et se retrouva aussitôt collé contre l'étudiante.
— Tu danses ? demanda-t-elle, la voix éméchée.
— Non merci, répondit-il en tentant de s'esquiver.
Mais la fille s'écrasait littéralement contre lui. Elle se pencha vers lui, attrapa son visage entre ses deux mains et pressa ses lèvres sur celles d'Anthony.
Sur l'instant, il resta immobile, stupéfait. Au bout de quelques secondes, il la repoussa si vivement que la fille tomba à la renverse sur le sol.
Ses amies se précipitèrent sur elle en insultant Anthony d'un tas de noms d'oiseaux.
Autour d'eux, les gens s'étaient arrêtés de danser et observaient la scène. Certains chuchotaient en pointant Anthony du doigt.
Un étudiant déguisé en pirate vint se dresser face à lui.
— On ne frappe pas les femmes.
Anthony allait ouvrir la bouche pour rétorquer que ce n'était absolument pas ce qu'il venait de se passer mais il s'abstint. Il avait l'impression que cela ne servirait à rien et qu'il ne ferait qu'envenimer les choses. Les regards étaient braqués sur lui ce qui le rendait mal à l'aise.
Il traversa la foule et fila vers la sortie. Dehors, il faisait nuit noire. La lune était cachée par les nuages et les seules lumières qui brillaient dans l'obscurité venaient des différentes résidences où les fêtes battaient leur plein.
Il ferma les yeux et prit une longue inspiration. La vie à Stanfild ne se déroulait décidément pas comme il l'avait imaginé. Ni souhaité.