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By Severine75

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Thierry, bibliothécaire, vient de fêter son cinquante-cinquième anniversaire et fait un triste constat sur so... More

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Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Interlude
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Épilogue
Fin du défi

Chapitre 19

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By Severine75

— Ils se roulent la pèle du siècle, s'exclame alors Isabelle de l'autre côté de la porte.

Des cris de joie explosent dans la pièce voisine et Philippe se détache de moi en riant. Je n'avais jamais vu ses yeux briller autant. Il me serre dans ses bras et embrasse mon cou en douceur.

— Merci, murmure-t-il.

Je ne réponds rien, me contentant de fourrer mon visage dans son épaule. Je respire sa peau, profite de son souffle, de son corps contre le mien. Ça fait si longtemps que j'attends ce moment, que je souhaite le tenir si près de moi que la terre peut bien trembler, je m'en fiche. Je sais que nous devons parler, mettre les choses à plat et passer outre des années de frustration et d'incompréhension, mais pour l'instant, seul compte notre lien qui se reconstruit de seconde en seconde, aussi solide qu'avant, comme s'il n'avait jamais été rompu. Il a juste été étouffé, enseveli, et à présent, il reprend de l'ampleur et revient plus majestueux que jamais.

— Hum, je viens juste récupérer le fromage et je repars.

Je glousse en entendant la voix douce de Carole. Elle se faufile à nos côtés tandis que la paume de Philippe se pose dans mes cheveux, attrape le plateau disposé sur le plan de travail et ressort sans un mot.

— On va devoir y retourner, souffle Philipe à mon oreille.

— Pas tout de suite, ronchonné-je.

Il rit, resserre son étreinte et embrasse ma tempe.

— Je ne compte plus te lâcher, susurre-t-il. Reste avec moi ce soir, cette nuit. On pourra parler. J'ai tant de choses à te dire.

Je redresse la tête et embrasse sa bouche.

— D'accord, j'ai beaucoup à te dire aussi.

— Tu vas m'engueuler ? demande-t-il, taquin.

— Oui, c'est une certitude. Et tu m'écouteras sans sourciller.

— Tout ce que tu veux.

Ses lèvres rejoignent de nouveau les miennes pour un baiser doux. J'ai l'impression de rêver. J'ai soudain peur de me réveiller et de me rendre compte que toute cette soirée n'a pas existé. Je me tends.

— Thierry, chuchote Philippe contre ma bouche. Je te promets que je ne te quitterai pas.

Il me connaît si bien que je n'ai pas besoin de lui expliquer les doutes qui m'assaillent. Je hoche la tête et recule d'un pas.

— On parlera plus tard alors, répliqué-je. Pour l'instant j'ai encore faim.

Après un autre baiser échangé, nous retournons au salon où nous sommes accueillis par des conversations animées. Le fromage est déjà dans toutes les assiettes et la baguette est bien entamée. Sans un mot, nous reprenons place autour de la table et nous servons. Je me jette sur le brie et le sainte-maure comme un affamé et mange avec appétit sous le regard bienveillant de nos amis.

— Je vois que vous avez bien attaqué le Chinon, constate Philippe.

— Il fallait bien qu'on s'occupe pendant que vous batifoliez, répond Isabelle. En plus, il est délicieux.

— Il vient de la cave de mon beau père, intervient Séverine.

— Un fin connaisseur, ajoute Luc.

— Tu ne crois pas si bien dire. Si vous voulez des conseils en matière de vin, c'est à lui qu'il faut s'adresser.

Elle toussote, fixe ses yeux sur moi et reprend, sournoise :

— Pour un mariage, par exemple.

Je manque de m'étouffer et saisis mon verre que Philippe vient tout juste de remplir.

— Un mariage ? s'exclame Carole. Ce serait si bien.

— Vous savez quoi ? déclare Philippe en reposant ses couverts. Je vous remercie d'être venu, et pour les cadeaux aussi, mais je crois qu'on mangera le gâteau demain.

La tablée éclate de rire.

— On se demandait combien de temps il te faudrait pour nous virer, explique Luc en s'essuyant la bouche avec sa serviette.

— J'ai même proposé de partir pendant que vous étiez dans la cuisine, ajoute Séverine. Mais ils sont tous les trois plus fourbes que moi.

— Bon, je crois qu'on va vous laisser, continue Carole. Vous avez sans aucun doute des choses à vous dire.

— Ou à faire, renchérit Isabelle en haussant les sourcils.

Sur ces mots, ils se lèvent tous, nous souhaitent une belle fin de soirée et disparaissent sans avoir oublié de nous embrasser très longuement. Alors que je commence à débarrasser la table, Philippe m'arrête et m'attire contre lui.

— Laisse ça, on s'en occupera demain. Enfin, je m'en occuperai.

— Ça ne me dérange pas de rester, si tu le veux.

— Je ne désire que ça. Si ça ne tenait qu'à moi, je te demanderais de venir vivre avec moi, dès ce soir. On a perdu trop de temps.

— Et j'accepterais.

Ses paumes se posent sur mes joues, ses lèvres rejoignent les miennes une fois de plus. Il prend ensuite le temps d'éteindre la musique et les lumières avant de revenir vers moi dans la pénombre. Sa bouche frôle ma tempe avec douceur. Tout mon corps se recouvre d'une chair de poule que seul lui a jamais été capable de provoquer. Puis nos doigts s'entrelacent et il me guide vers sa chambre. Il allume sa lampe de chevet, ferme la porte et s'approche en silence.

Il m'interroge du regard, ne voulant pas me brusquer, aller trop vite ou je ne sais quoi. Je lui souris et hoche la tête sans prononcer un mot. Un à un, dans des gestes lents, il ôte mes vêtements. Ses yeux détaillent mon corps, ses phalanges effleurent mon épiderme, sa bouche est courbée en un fin sourire. Il est doux, délicat. Il prend son temps.

— Tu es toujours aussi beau, souffle-t-il.

Nos regards se captent. Moi qui suis du genre pudique, je ne ressens aucune gêne devant lui. Il fait partie de moi. Nu, je le déshabille à mon tour et me régale de sa peau encore hâlée, des quelques poils parsemés sur son torse, de ses grains de beauté que j'avais oubliés, mais qui me semblent pourtant si familiers.

— Tu n'as pas changé, murmuré-je. Enfin, presque pas.

Il rit en me serrant contre lui et m'entraîne ensuite vers son lit. Nous nous blottissons l'un contre l'autre, sous les draps, nous nous embrassons, nous aimons comme nous aurions dû le faire toutes ces années.

— Tu m'as posé une question l'autre soir, chuchote Philippe en glissant ses doigts le long de mon dos.

— Laquelle ?

— Pourquoi je ne suis jamais parti ?

Il picore mon épaule.

— Je ne t'ai pas dit la vérité, continue-t-il. Si je n'ai jamais voyagé, c'est parce que je ne pouvais pas m'éloigner de toi.

Je fronce les sourcils.

— J'étais persuadé de faire ce qu'il fallait en te rejetant, reprend-il. Tu voulais tout ce que je ne pensais pas pouvoir te donner. Je me sentais incapable de t'aimer comme tu le méritais. Je ne pensais pas être assez bien pour toi.

J'ouvre la bouche pour protester, mais il ne m'en laisse pas le temps.

— Tu tenais tant à avoir une famille que j'ai même souhaité que tu te maries avec une femme et que tu puisses avoir des enfants, mais tu ne l'as jamais fait.

— Je suis homo Philippe.

— Ça n'a pas empêché certains hommes de le faire pourtant.

Je hoche la tête, conscient que dans le passé, c'était la seule solution pour assouvir les désirs de paternité.

— Quand j'ai réalisé ma bêtise, tu avais tourné la page. Tu sortais avec quelqu'un d'autre, tu étais heureux. Alors... j'ai fait de même. Et le temps s'est écoulé, sans me donner l'occasion de te dire ce que je ressentais.

— Je n'ai jamais été aussi heureux que lorsque j'étais avec toi. Tu as toujours été l'amour de ma vie.

Les larmes emplissent mes yeux et Philippe m'étreint avec force.

— Je croyais faire au mieux, ensuite tout s'est enchaîné et... je ne savais plus comment agir. Mais je suis resté auprès de toi, je n'ai pas pu me résoudre à partir et je ne le regrette pas une seule seconde. Demeurer ici a été le meilleur choix de ma vie. Avec celui de tout t'avouer ce soir.

Je m'accroche à lui avec toute la force qui me reste, j'embrasse sa peau, la caresse, je m'abreuve de son odeur.

— Je ne pensais pas que tu m'aimais toujours, reprend-il. Jamais je ne l'aurais imaginé.

— Tu es un abruti.

— Je l'assume. Maintenant tu es là et je ne te quitte plus. Viens habiter ici, ou allons chez toi ou ailleurs je m'en fous tant que tu es avec moi.

Nos lèvres se rejoignent encore et encore. J'ai l'impression de revivre, de me réveiller d'une longue nuit. Pourtant, un détail s'invite dans mon esprit.

— Et pour le sexe ? demandé-je, un peu honteux. Tu sais que je n'ai jamais été très porté sur la chose.

— Je m'en moque. J'ai changé. J'ai appris que l'amour peut se faire de multiples manières. Je n'en voyais qu'une quand j'étais jeune, mais avec l'âge j'ai compris que ça ne se limitait pas à un acte précis. Cet acte qui m'a semblé si creux ces dernières années. Des caresses, un câlin, te sentir contre moi me suffit.

Je ne réponds rien. Nous nous regardons en silence. Nous n'avons plus besoin de parler, je sais l'essentiel. Je n'ai pas envie de m'appesantir sur le passé, de l'accuser de tous les maux. D'autres explications viendront avec le temps, je n'en doute pas, mais pour l'instant je veux juste l'aimer, découvrir la vie à ses côtés, profiter de chaque instant qu'il nous reste.

Je me colle à lui un peu plus et pose ma tête contre son épaule. Ses phalanges effleurent mon dos avec paresse, nos respirations se calment, nos corps s'apaisent. Je glisse ma jambe entre les siennes et laisse la torpeur me gagner. Entre ses bras, les souvenirs de ma jeunesse me reviennent peu à peu. Notre rencontre dans les couloirs de l'université, nos premiers baisers échangés dans l'ombre, la création de l'association, les luttes que nous avons menées, la peur panique des maladies, la perte de certains de nos amis. Philippe est celui avec qui j'ai découvert la sexualité et l'amour, il sera le dernier à partager mon lit et ma vie.

— Tu es mon foyer, murmuré-je contre son torse. Nos enfants sont toutes les personnes qui sont venues chercher de l'aide à l'asso. Nous avons fondé la plus belle de toutes les familles. Je ne veux pas plus.

Son souffle se coupe. Je relève la tête vers lui et lui sourit. Il caresse ma joue avec tendresse et susurre un merci à peine audible.

Je n'arrive pas à y croire. Je suis nu, dans le lit de Philippe et nous nous apprêtons à commencer une existence commune. Nous allons enfin pouvoir nous aimer. La vie de couple avec tout ce qu'elle implique nous tend les bras. Je sais que nous allons tâtonner, nous tromper, nous engueuler avant de nous réconcilier. Je sais aussi que chaque moment passé en sa compagnie sera meilleur que le précédent.

Toutes ces années d'attente sont à présent remplacées par un sentiment d'extase et de plénitude dont j'ignorais l'existence. Je suis prêt à profiter au maximum des années à venir et de l'homme de ma vie.

Je l'ai, ma happy end.

***

Franchement quand j'ai écrit les derniers mots, j'ai eu les larmes aux yeux. Ils sont si beaux tous les deux et Thierry est enfin heureux et complet. Ils étaient fait pour être ensemble, se sont loupés, mais ils se sont aussi retrouvés et Philippe n'a jamais pu s'éloigner de son âme sœur.

On pourrait parler d'années perdues, mais qui sait? Peut-être qu'il leur fallait ses années pour se rendre compte de la force de leur attachement. Peut-être qu'ils se seraient séparés s'ils avaient tenté l'aventure ensemble plus jeunes. On ne le saura jamais.

L'essentiel c'est qu'ils soient réunis et pour longtemps.

Je vous poste l'épilogue dans la semaine

Merci beaucoup d'avoir été présent lors de cette publication et de m'avoir soutenue lors de mes doutes

Des masses de bisous

Séverine

💚💚💚

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