Chapitre 46

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Voldemort atterit en catastrophe sur le terrain du manoir Malefoy. Que s'était-il passé ? À quel moment avait-il perdu le contrôle ?
Il regarda Bellatrix, assoupie dans ses bras. Des larmes avait séché sur ses joues, et sa lèvre inférieure ensanglantée avait été fendue. Il se rappela du cri déchirant qu'elle avait poussé en voyant son compagnon tomber, et son cœur se serra malgré lui. Il n'avait jamais entendu quelqu'un hurler comme cela, comme si le monde entier s'écroulait. Son cri était sorti du plus profond de ses entrailles, résonnant dans la nuit comme le plus terrible des appels à l'aide.

Elle avait refusé de lâcher son corps. Elle s'y était aggripée comme si sa vie en dépendait, comme s'il était la seule chose qui la retenait encore sur Terre. Elle l'avait repoussé, lui, son Maître, pour rester aux côtés de son époux. Quand il l'avait approchée, elle l'avait regardé comme un étranger, comme une menace. Elle avait voulu protéger Rodolphus, d'une certaine manière, en se mettant entre lui et le reste du monde.

Voldemort soupira. Il pensa à la réveiller, avant d'estimer qu'il s'agissait d'une mauvaise idée. Il lui devait bien ces derniers instants de répi, avant qu'elle ne retourne à l'horrible réalité qui était la sienne. Elle avait perdu son meilleur ami, et Voldemort était en partie responsable. S'il ne les avait pas appelé, ils seraient encore sûrement tous les deux, à passer un moment agréable en famille.

Le Seigneur des Ténèbres n'était pas accablé par la culpabilité, ni rongé par la tristesse. Mais il savait que les temps à venir seraient difficiles. Il avait, après tout, perdu l'un de ses meilleurs soldats. Rodolphus et Bellatrix avaient presque toujours fonctionné par paire. Ils s'étaient toujours complétés.

- Tout ira bien, Bella, murmura-t-il, caressant une dernière fois le visage de sa protégée avant de la porter à l'intérieur du manoir.


****


Bellatrix se réveilla en sursaut, dans une pièce plongée dans un noir total. Elle était dans un lit. Elle ne se rappelait pas s'être couchée. L'esprit encore embrumé par le sommeil, elle tâta machinalement l'espace à côté d'elle. Il était vide.

- Dolph ? dit-elle d'une voix rauque.

Puis, elle réalisa. « Non...non, non, non, non ». Elle secouait la tête frénétiquement, se recroquevillant sur elle-même, se mordant les lèvres pour réprimer un violent sanglot qui finit par éclater. Son corps entier était pris de tremblement, et la main tremblante qu'elle avait porté à ses lèvres pour étouffer ses pleurs ne servait à rien face à leur force.

- Bella...

Une main large et fine se posa sur son épaule, et elle fut attirée contre quelqu'un. Des bras l'enveloppèrent, des doigts s'enroulèrent dans ses boucles brunes, et Bellatrix se laissa complètement aller contre la figure réconfortante qui l'enlaçait.

- Il faut...il faut aller le chercher, il... il va avoir froid...il...
- Shhh, Bella.

La voix de Voldemort n'avait jamais été aussi douce. Mais Bellatrix n'avait pas l'esprit assez clair pour remarquer cela. Tout ce qu'elle voyait, c'était les yeux grands ouverts de Rodolphus, des yeux vides, voilés, qui fixaient le ciel étoilé.

- Nous sommes allés chercher son corps, murmura Voldemort en continuant de caresser Bellatrix. Rabastan et moi. Il s'est battu vaillamment, et il ne sera pas oublié. Jamais.

Bellatrix continua de pleurer, incapable de répondre quoi que ce soit. Et Voldemort la laissa faire, restant silencieux, à ses côtés, jusqu'à ce qu'elle finisse par s'endormir dans ses bras, épuisée par les sanglots et la douleur.


****


28 mai 1976, Château Lestrange, Oxfordshire.


Bellatrix regarda à travers la fenêtre. Les gens commençaient à arriver. Foule toute vêtue de noir, portant le deuil comme la tradition l'exigeait. Leurs visages faussement tristes. La moitié d'entre eux n'avait jamais adressé la parole à Rodolphus, et elle pleurait maintenant un héros de guerre et ami regretté. Bellatrix ferma les yeux.

- Je ne peux pas...
- Bella...

Narcissa prit sa main dans la sienne et la serra doucement.

- Tu es la sorcière la plus forte que je connaisse, dit-elle avec tendresse. Ne le fais pas pour les autres. Fais-le pour lui.
- Si j'avais réagi plus vite...
- Bella, tu ne peux pas changer le passé... ce qui est arrivé est terrible, mais Rodolphus était conscient des risques. Tout comme toi. Tu ne voudrais pas qu'il pleure ta mort, pas si tu avais péri sur le champ de bataille. Tu n'es pas responsable, pas le moins du monde. Je crois en toi, Bella, je sais que tu peux le faire.

Bellatrix se mordit la lèvre inférieure. Elle avait envie de vomir. C'était trop. Elle avait l'impression que rien n'était réel, que tout cela n'était qu'un mauvais rêve et qu'elle allait se réveiller d'un moment à l'autre aux côtés de Rodolphus.

- Bell's ?

Rabastan passa sa tête dans l'entrebâillure de la porte. Il avait l'air épuisé, lui aussi.

- Il est arrivé, dit-il. Il est temps.

Bellatrix acquiesça, et Narcissa déposa un baiser sur sa joue avant de lui lancer un dernier regard et de s'en aller rejoindre les autres.


****


Voldemort n'avait pas assisté à beaucoup de funérailles au cours de sa vie. Il ne s'en était jamais vraiment donné la peine. Et celles auxquelles il s'était rendu avait été ennuyante, voire risible. Mais, alors qu'il regardait la tombe de Rodolphus Lestrange s'enfoncer dans les entrailles de la terre, il ne put s'empêcher de penser qu'il avait eu raison d'être présent aujourd'hui. Rodolphus avait été un de ses plus loyaux serviteurs. Il ne l'avait jamais déçu, et avait donné sa vie pour lui. Assister à son enterrement était la moindre des choses que Voldemort pouvait faire.

Et puis, il n'aurait pas pu laisser Bellatrix seule. Pas dans ces conditions. Pas lorsqu'il était indirectement responsable de la mort de son compagnon.

Ce fut elle qui prononça les hommages au mort. Elle se tenait droite, l'allure noble, digne face à la mort. Elle voulait rester forte, ne montrer aucune faiblesse, alors même que son monde s'écroulait autour d'elle. Voldemort l'avait formée ainsi. Il était fier d'elle, de la femme qu'elle était devenue.

- Je n'avais que cinq ans lorsque j'ai rencontré Rodolphus pour la première fois. Il m'a proposé qu'on échange Narcissa et Rabastan ce jour là, après que je me sois plainte de ma petite sœur. Rodolphus a toujours eu d'excellentes idées.

Quelques sourires se dessinèrent sur les lèvres des sorcières et sorciers qui écoutaient la brune avec émotion.

- Aucun mot ne pourrait exprimer la douleur que nous ressentons tous face à la perte d'un sorcier aussi extraordinaire que mon époux. Rodolphus Lestrange a perdu la vie en se battant pour nos idéaux, en se battant pour le Seigneur des Ténèbres. Il sera à jamais un héros, et nous nous rappellerons sans cesse de sa loyauté, de sa bravoure.

La foule acquiesça en silence, et quelques sanglots se firent entendre dans les rangs positionnés à l'avant. Voldemort, lui, restait sans expression immobile, sa respiration lente et son entière concentration dirigée vers Bellatrix. Depuis la mort subite et inattendue de Rodolphus, il ressentait une sorte de mal aise qu'il n'arrivait pas à identifier.

- Il y a des années, j'ai fait promettre à Rodolphus que nous resterons meilleurs amis pour toujours... maintenant, je sais que cette promesse ne pourra jamais être brisée. Rodolphus, mon ami, merci pour tout ce que tu nous as apporté. Tu nous manqueras profondément.

Bellatrix alla se rassoir. Pendant que Mérida Lestrange prenait sa place et commençait son propre discours, Voldemort continua d'observer sa servante de loin. Elle n'avait pas pleuré. Pas ici, pas devant tout le monde. Pourtant, il l'avait vue s'effondrer. Il avait vu sa réaction lorsque la vie avait quitté le corps de Rodolphus, et il avait vu sa réaction lorsqu'elle s'était réveillée, croyant à un mauvais rêve, avant de réaliser que tout cela était vraiment arrivé et de ressentir la douleur de la perte une seconde fois.

Voldemort sentit un frisson lui parcourir le corps. Rodolphus était mort cette nuit là. Cela aurait pu être n'importe qui.

Cela aurait pu être Bellatrix.

Sa Bella.

Lord Voldemort s'était assuré la vie éternelle en divisant son âme en six parties. Il savait que la mort ne pouvait pas le toucher. Il savait qu'il allait voir ses soldats tomber autour de lui, emporté par leurs blessures, la maladie ou une mort naturelle. Et il n'avait jamais été dérangé par cette idée.

Jusqu'à ce jour.

La mort avait frappé si près de lui qu'elle lui avait fait réaliser qu'il n'était peut-être pas si imperméable au sentiment de perte. Il regrettait d'avoir perdu Rodolphus, car il l'avait toujours hautement estimé. Avec les années, peut-être, ils seraient devenus proches de ce que l'on peut appeler des amis. Mais Rodolphus n'était plus qu'un corps froid six pieds sous terre désormais.

Et cela aurait pu être Bellatrix.

La vision de la belle sorcière, pâle, les yeux clos, dans un cercueil, retourna l'estomac du mage noir. Voldemort serra les dents. Il l'avait prise sous son aile lorsqu'elle n'avait que dix-sept ans. Il l'avait formée lui-même à la magie noire. Il l'avait façonnée comme de l'argile, pour révéler tout son potentiel et le transformer en une forme de pouvoir brut et létal. Plus encore, elle était devenue sa meilleure alliée, la seule capable de répondre à la moindre de ses attentes. Il avait gagné ses services de combattante, et ses faveurs de femme.

Et Bellatrix allait mourir. C'était inévitable. Si elle n'était pas emportée par la vieillesse, elle serait abattue sur le champ de bataille. Et Voldemort savait que cela ne posait pas problème à sa mangemort. Il savait qu'elle était prête à se sacrifier pour son Maître.

Mais plus il y pensait, plus Voldemort comprenait que lui n'était pas prête à la sacrifier pour son mouvement. La gloire éternelle semblait fade sans Bellatrix à ses côtés. Plus encore, elle semblait insupportable.

Cela aurait pu être Bellatrix, à la place de Rodolphus, et Voldemort n'aimait pas cette idée.


****


- ...bien évidemment, en l'absence d'héritier, c'est vous qui touchez l'intégralité de la fortune de monsieur Rodolphus Corvus Lestrange, à savoir 200.167.453 Gallions. Vous obtenez aussi les droits de propriétés sur les résidences suivantes : l'appartement sur la cinquième avenue à New York, la villa à Saint-Jean Cap Ferrat ainsi que l'appartement avenue Montaigne à Paris. Vous partagez ces titres avec monsieur Rabastan Fulcran Lestrange.

Bellatrix n'écoutait que d'une oreille le notaire qui listait d'une voix monotone tous les biens dont elle héritait. Elle n'avait que faire de cela. La fortune de son époux était la dernière chose dont elle voulait parler en ce moment. À vrai dire, elle ne voulait pas parler tout court. Elle voulait s'enfermer dans sa chambre et ne plus en sortir.

- ...caveau des Lestrange au cimetière du Père Lachaise, une urne vide sera placée symboliquement...

Qu'il se taise, pensa Bellatrix avant de soupirer furieusement. Son meilleur ami avait été enterré le matin même, et ce notaire à la con osait lui parler de leurs dispositions financières ?
Sans même s'en rendre compte, Bellatrix avait saisi sa baguette et l'avait lentement levée vers le sorcier en face d'elle, qui était devenu blême et la regardait avec confusion.

- M...madame Lestrange ?

La lumière du lustre suspendu au dessus d'eux vacilla. La température chuta. Bellatrix s'était levée, ses yeux sombres étaient braqués sur le sorcier-notaire.

- Bella.

Une main ferme se posa sur son épaule, et la tension redescendit d'un coup. La brune ferma les yeux, réprimant le sanglot qui s'était formé dans sa gorge, et laissa Voldemort l'attirer contre lui, s'autorisant enfin à respirer.

- Je pense que Madame Lestrange n'a plus besoin de vos services, dit le mage noir d'une voix glaciale. Si vous avez d'autres requêtes, adressez-vous à son beau-frère.
- B...bien...monsieur...m...mon Seigneur.

Et le notaire s'empressa de partir. Voldemort écouta ses pas précipités résonner dans les couloirs, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus les entendre, et serra Bellatrix un peu plus contre lui. De longues minutes passèrent sans qu'ils ne disent mot, puis Voldemort se racla la gorge.

- Il faut que je te parle de quelque chose, dit-il à voix basse, ses lèvres à quelques centimètres de son front, en continuant de la tenir étroitement contre lui. Quand tu seras prête, nous parlerons. D'ici là, je veux que tu te reposes.
- Je n'ai pas besoin de re...
- Bellatrix.

Elle se tut. Il la sentit frémir contre lui. Il fallait qu'elle lâche prise.

- Tu n'as pas besoin d'être forte tout le temps, dit-il d'une voix douce. Pas avec moi.

Elle déglutit difficilement, et son souffle s'apaisa.

- Quand tu seras prête, nous parlerons.

Puis, sans rien ajouter, il la quitta. Et, pour la première fois peut-être, le sentiment de séparation lorsqu'il la laissa seule, tremblante derrière lui, se fit ressentir physiquement.

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Oui, j'ai fait mourir Rodolphus le jour de l'anniversaire de Bella. Oui, je suis un monstre. Non, je ne regrette rien.

L'histoire va réellement prendre un tout autre tournant désormais. Normalement (mais je ne promets rien) nous n'avons plus aucune mort de personnages principaux.

Et pour tous ceux qui étaient amoureux de Rodolphus (moi la première), je vous partage ce vers de La Fontaine, que je trouve très beau : « sur les ailes du temps la tristesse s'envole ».

Si vous êtes encore tristes après ça, c'est votre problème. Bye.

Oh et, comme toujours, merci à celles et ceux qui commentent. Comme dirait Lily « You are so loved, so loved ».

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