— Laisse pas tomber si facilement, essaye de te concentrer un moment, je vais t'aider.

Je lui explique au mieux tout ce que j'ai pu comprendre du cours et lui montre ce que j'ai commencé à rédiger.

— En gros, le suicide c'est un fait social à appréhender méthodologiquement. Même quelque chose qui te parait lié seulement à la psychologie et à des motivations internes, c'est aussi impacté par d'autres choses sociales, ce qu'on appelle des déterminants sociaux ou des causes sociales.

— Oui d'accord mais le suicide 'fin je sais pas ... J'arrive pas à le cerner calmement et à me dire que c'est juste quelque chose qui réponds à des statistiques. Je trouve ça trop froid de voir seulement des chiffres dans quelque chose d'aussi bouleversant. Tu trouves pas ?

— Si un peu ... Puis commencer l'année avec ce sujet, ils auraient pu nous accueillir plus joyeusement.

On affiche une moue dépitée l'espace de quelques secondes face à nos copies.

— Désolé de t'embêter avec mes questions existentielles, au fond faut juste faire ce devoir sans trop se poser de question.

— Tu m'embêtes pas du tout, au contraire ! Bien sûr, il faut pas se laisser submerger par ses pensées et rester tétanisé mais avoir un sens critique, c'est super important. Tu n'avales pas tout ce qu'on te dit sans te poser de question.

Elle me sourit et on se remet au travail consciencieusement. A deux on avance bien plus rapidement et ses idées sont brillantes mais manquent simplement de structure.

Au bout d'une heure, elle lâche son crayon et s'étire, la satisfaction étirant ses fossettes dans un sourire enfantin.

— Finalement on a bien avancé et on s'en est sorti pas trop mal ! Merci, je sais pas comment j'aurais fait sans toi ! Tu es brillante !

— Dis pas de bêtises, c'était un travail d'équipe. On retravaillera ensemble la prochaine fois si tu veux. Mais continue tes éloges, je sais que je suis le genre de camarade que tu aimerais présenter à tes parents, pouffé-je en levant les yeux aux ciels pour appuyer l'ironie de ma phrase.

— C'est vrai, je suis entre de bonnes mains, ils doivent être fiers de moi de là-haut.

Je sens mon cœur sauter une pulsation. Elle aussi est orpheline ? Je me rapproche d'elle et la prends instinctivement dans mes bras. Elle hésite avant de m'enlacer à son tour. Mes paupières se ferment, je sens la chaleur de sa peau et son odeur m'enivrer. Il me faut bien dix secondes pour réaliser la situation dans laquelle nous sommes. Je rougis violemment avant de m'éloigner d'elle.

— Je... Je suis désolée. Pardon.

— Oh ça va ne t'en fais pas, souffle-t-elle en esquissant un léger sourire forcé.

Je tends le bras pour lui caresser doucement la main. Mais qu'est-ce qui me prend ! Je retire vivement ma main. Je baisse les yeux, et je sens le rouge me monter aux joues en devenant écarlate. Je ne vais pas bien moi aujourd'hui, je suis incapable de me contrôler. J'ai chaud. Terriblement chaud. J'étouffe de gène et d'émotions. Aucune de nous n'ose parler. Je décide de me lever en prétextant aller chercher un livre pour fuir cette tension inconfortable.

Fin du point de vue de Lou

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Point de vue de Violette

Euh... Je ne comprends plus rien là ! Pourquoi elle a fait ça ? Mais sa main était si douce... Redescends sur terre ! Enfin franchement ! Il n'y a aucune chance pour qu'elle s'intéresse à toi ! Elle était simplement compatissante. Quand elle revient je me lève, dépitée :

— Lou ? Je vais y aller.

— Oh d'accord... On se voit plus tard.

Je sors de la bibliothèque et me dirige vers ma chambre. Une fois arrivée dans le couloir je me laisse glisser mollement le long du mur.

— T'aurais pas flashé sur Lou toi ?

Je sursaute et me redresse, surprise par cette question sortie de nulle part. Je tourne la tête et aperçois Lucie, me surplombant curieusement :

— Inutile de le nier !

Je ne sais quoi répondre et je bégaye en cherchant mes mots.

— Je le savais ! J'ai vu comment tu la regardes, c'est évident !

— Ça se voit tant que ça ?

— Je pense être la seule à l'avoir remarqué. En revanche je te conseille de surveiller ton comportement si tu ne veux pas vendre la mèche.

Elle se retourne et file dans sa chambre me laissant seule avec mes pensées. Il va falloir que je sois plus vigilante. Bon, quelle heure il est ? Je regarde mon téléphone qui affiche 17h. Ça me laisse encore du temps avant le dîner. Je pars me changer, j'enfile un survêtement, une paire de baskets adaptée et sors courir histoire de me vider l'esprit. Ou du moins essayer.

Fin du point de vue de Violette

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Point de vue de Lou

Je m'installe sur l'une des chaises et observe le roman fantastique que j'ai ramené avec moi. Il est fin, ça sera vite fait. Mais je devrais peut-être lire quelque chose pour les cours à la place... Ça serait plus productif. Ou mieux, un guide de développement personnel pour vaincre sa timidité. Non mieux, un guide pour ne plus être louche et étrange avec la jeune rousse que tu viens de rencontrer.

Je bois une gorgée d'eau de la bouteille qui se trouve devant moi et souffle, lassée par ma bêtise.

Une heure et demie plus tard, je ferme le bouquin. J'ai besoin de prendre l'air. Les bêtes mythiques et les pouvoirs magiques, ça change d'univers mais je n'arrive pas à plonger dedans. Je repose le livre là où je l'avais trouvé et sors de la bibliothèque pour me diriger vers le café le plus proche. J'y croise Adam et Béatrice en train de bavarder en sirotant un latte. Je les salue et me joins à eux. Soudain Béatrice me pose une question qui m'embarrasse :

— Tu la trouves comment ?

— Tu veux dire quoi par-là ? De qui tu parles ?

— Je ne vais pas tourner autour du pot, ça me fatigue : est-ce que Violette est à ton goût ?

J'ai envie de lui crier « oui » du fond du cœur. Qu'elle est magnifique, irrésistible et quelle dégage un charme fou mais je n'en fais rien.

— Euh... Je ne sais pas... Je ne suis sûre de rien...

Je triture un sachet de sucre entre mes doigts, cherchant à fuir son regard inquisiteur.

— C'est simple, réponds-moi oui ou non.

Je murmure un « oui » tout juste audible. Rongée par la gêne.

— Quoi ?

— Oui ! crié-je beaucoup plus fort que prévu.

Certains clients me dévisagent. Un silence de plomb s'installe à table. Silence qu'Adam vient rompre en éclatant de rire.

— Qu'est-ce qu'il y a de si drôle ?

Il continue de rire, les larmes aux yeux.

— Rien, rien. Je me disais juste que te voir te mettre dans des états pareils pour quelqu'un ça ne te ressemble pas.

— C'est vrai mais... Je ne sais pas... C'est la première fois que ça m'arrive, je suis complètement vulnérable.

— Bienvenue au club, mais t'inquiète pas pour ça. C'est tout à fait normal tu sais. Il fallait bien que ça t'arrive un jour non ? Puis, de toute façon, tu pourras toujours compter sur moi et Adam. N'est-ce-pas ? me rassure Béatrice d'un ton affectueux.

J'approuve en souriant, légèrement soulagée d'un poids que j'avais sur la poitrine. Je suis tellement heureuse. 

Renarde et flocon de neigeWhere stories live. Discover now