Chapitre 5

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19 août 2005


S'il y avait bien une chose de sûre à propos de Robin Lane, c'était qu'il n'était pas du genre patient. La ponctualité prenait une telle place dans son tempérament qu'il parvenait rarement à conserver son calme si ses sbires avaient, ne serait-ce que quelques minutes de retard. La majeure partie du temps, il ne comprenait pas ce qu'il y avait de si difficile dans le fait d'être à l'heure. Après tout, il suffisait simplement d'être un minimum organisé...

Robin était pointilleux à l'excès, perfectionniste à l'obsession. La précision dictait le moindre de ses faits et gestes, fût-ce lorsqu'il s'agissait d'établir une stratégie visant à développer ses affaires, de décorer ou de ranger le Nest, ou encore d'abattre froidement quelqu'un. Chacune de ses actions se devait d'être propre, nette et sans bavures, bien que sa fâcheuse tendance à trancher la gorge de ses victimes venait légèrement entacher ce mantra de perfection, au sens propre comme au figuré.

Malgré ce petit désagrément, Robin était toujours très fidèle à lui-même ; méticuleux et parfaitement organisé. Personne n'avait d'ailleurs jamais réussi à mettre un nom sur ses crimes. Personne ne l'avait jamais soupçonné de quoi que ce soit. La loyauté de ses hommes de main n'avait d'égale que la peur que leur chef leur inspirait. Pour le reste, Robin était particulièrement doué pour graisser la patte à n'importe quelle tête haut placée, feignant de mettre le nez dans ses affaires. Jamais la justice n'avait eu d'yeux plus bandés que face à lui. Pour tous les médias, il était le tueur invisible, l'égorgeur de Brooklyn : le Rouge-Gorge. Le doux nom que lui donnait sa mère étant petit et dont il tenait son prénom était devenu en très peu de temps sa signature sanglante aux yeux du monde.

Depuis qu'il s'était hissé à sa tête, son empire s'était étendu à vue d'œil. La plupart de ses hommes de main étaient à son image, intelligents, puissants et d'un professionnalisme hors pair. Robin se plaisait à dire que son « entreprise » reposait sur des collaborateurs de confiance, loyaux jusqu'à la mort et particulièrement doués dans leurs méfaits. Ils étaient les rouages de ses affaires, les piliers de son pouvoir sur les autres gangs de la ville. Une seule faille dans le système, une seule erreur et le cadavre du sbire dissident se voyait immédiatement sacrifié sur l'autel de la perfection de Robin. Fort heureusement, ce genre de petits incidents étaient assez rares et, depuis quelques mois, le chef était plus que satisfait du travail de ses hommes de main. Mais ce jour-là et pour la première fois depuis bien longtemps, au beau milieu de son propre territoire, sous le soleil éprouvant du mois d'août, la nouvelle recrue et son éternelle innocence étaient sur le point de faire vaciller la sainte patience du Rouge-Gorge...

En ce bel après-midi, au cœur d'une rue commerçante du nord de Brooklyn, Shane était, en effet, en bien mauvaise posture. Cela faisait plusieurs longues minutes que l'adolescent tentait de s'emparer d'une des oranges juteuses, disposées sur l'étal d'un primeur et ce, sans trop se faire remarquer, ce qui, vraisemblablement, semblait être au cœur du problème.

Dissimulé dans l'ombre et noyé par les allées et venues des badauds sur le trottoir, le Rouge-Gorge attendait. Appuyé contre le mur de briques, à quelques pâtés de maisons, il observait chacun des faits et gestes de sa recrue, en ponctuant le tout de profonds soupirs médusés. Le garçon marchait de long en large devant l'étal, de cette démarche innocente qui ne faisait que démontrer qu'il ne l'était pas. Lorsqu'il parvint enfin à s'emparer d'une orange — en laissant deux autres s'écraser sur le bitume au passage —, il ne s'écoula pas dix secondes avant que le primeur ne se rendît compte du larcin et criât au voleur.

L'adolescent détala. Le marchand hurla. Robin leva les yeux au ciel et plongea son visage dans la paume de sa main.

Plusieurs tours de pâtés de maisons, deux sprints et une chute plus tard, Shane se planta enfin devant son chef. Les joues rougies par sa course, le souffle court, il tendit l'orange à Robin, anxieux de voir sa réaction. Après avoir rassemblé les derniers fragments de calme — et s'être répété dix fois la promesse qu'il avait faite à Zara de ne pas transformer ce gamin en escalope — le Rouge-Gorge releva lentement la tête, posa ses yeux de glace sur l'orange, puis sur sa recrue et commença, un semblant de patience dans la voix :

Gueule d'ange [PREQUEL DVOS] (TERMINÉ)Where stories live. Discover now