Prologue

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En cette nuit de Noël 1989, la neige recouvrait les buildings de New York de son étincelant manteau blanc. Les lumières de la ville illuminaient le ciel opaque d'une sublime aura d'espoir éternel. Les flocons scintillaient et tombaient silencieusement dans les ruelles, chassant les ténèbres qui hantaient ces lieux d'ordinaire.

Malgré sa frénésie constante, New York était particulièrement paisible en ce réveillon de Noël. La magie s'était emparée des décorations de la ville, les chorales chantaient encore au cœur de Manhattan et le sapin du Rockefeller Center n'avait jamais été aussi beau. Quelques habitants déambulaient dans les rues, se pressant pour rejoindre leur foyer chaleureux, au sein duquel ils ouvriraient enfin leurs cadeaux et partageraient le repas de fête dans la plus pure tradition de la nuit de la nativité.

Néanmoins, en plein cœur de Brooklyn, une jeune femme n'avait pas le cœur aux réjouissances. L'inquiétude qui la dévorait depuis ses premières contractions, survenues quelques minutes auparavant, la poussa à braver le froid hivernal pour se rendre à l'hôpital le plus proche. Emmitouflée dans son grand manteau bleu, elle avançait sur Clarkson Avenue, gelée par la brise qui faisait virevolter la neige légère à ses pieds.

Un peu plus loin devant elle, un taxi s'arrêta pour laisser descendre un couple d'amoureux, les bras chargés de cadeaux. Elle leva la tête vers eux, mais ces derniers ne prirent même pas la peine de lui accorder la moindre attention. Alors la jeune femme pinça les lèvres, retenant les larmes de souffrance portées par la nouvelle contraction qui se faisait ressentir. Sans plus de cérémonie, le chauffeur reprit sa route vers le nord de la ville, sous le regard impuissant de la future mère. Après quelques secondes de doutes, elle secoua la tête ; il lui était impossible de commander un taxi, elle n'avait de toute façon pas l'argent pour s'offrir un tel confort.

Alors les mains crispées sur son ventre rond, elle tenta vainement de ravaler les larmes de peur et de solitude qui venaient poindre en elle. La douleur était telle que chaque nouveau pas dans la neige devenait un supplice. Elle releva la tête, prête à affronter les derniers mètres qui la séparaient de l'hôpital, lorsqu'une violente contraction lui fit mettre un genou à terre. Un long gémissement s'échappa de sa gorge et elle implora son bébé d'être patient, lui dont la furieuse volonté de venir au monde s'amplifiait de minute en minute. Elle se redressa en titubant, le visage déformé par la douleur au fur et à mesure que son ventre se crispait, que son enfant appelait à vivre. Toujours plus fort, plus vite.

Soudain, un cri de panique s'échappa de sa gorge ; elle venait de perdre les eaux. Dès lors, le temps pressait, elle le savait. Courageusement, la jeune femme releva la tête vers le bout de l'avenue où se dressait l'hôpital. Face à elle, deux passants s'avançaient à sa rencontre. Son cœur tambourinait dans sa poitrine. Courbée en deux par la douleur, elle posa une main tremblante contre le mur de brique. Sa vision se brouilla, elle fut prise de vertiges. Les deux hommes lui apparaissaient de plus en plus flous, de plus en plus lointains. Elle plaqua son dos contre la façade et tendit ses doigts fébriles vers les deux ombres que ses yeux parvenaient encore à distinguer.

— Madame ! Ça va ? On peut vous aider ?

Figée par la peur de devoir mettre au monde son enfant ce soir, elle se contenta d'implorer leur aide de ses grands yeux verts-émeraude avant de s'affaisser jusqu'au sol, dans un nouveau cri de douleur. Les deux hommes se précipitèrent alors pour la relever et entreprirent de la porter sur les derniers mètres qui les séparaient de l'hôpital.

— Au secours ! Aidez-nous ! Cette femme est en train d'accoucher ! 

Dans le hall de l'accueil, les patients et les familles braquèrent en même temps leur regard sur la jeune femme éreintée. Pendant un court instant, l'espoir jaillit et balaya ses peurs d'une promesse de bonheur éclatante. Des infirmières se précipitent vers elle, suivies de près par un brancardier. Elle eut à peine le temps de souffler un timide « merci » à ses deux sauveurs qu'elle avait déjà disparu dans les étages de l'hôpital.


*


— Madame, écoutez-moi. Inspirez, expirez. Inspirez. Et maintenant... poussez ! 

Son sang fusait dans ses tempes et les lumières dansaient autour de son crâne. Elle laissa sa tête rouler sur le lit, à bout de force. La fatigue et la peur commençaient à avoir raison d'elle. Ses muscles tremblants ne parvenaient plus à tenir le choc de cet effort. Nonobstant, elle savait qu'elle ne devait pas abandonner, pour lui. Une infirmière se plaça à ses côtés et lui prit la main en épongeant son front.

— Allez, Madame, on y est presque. Encore une dernière fois. Inspirez... poussez !

La jeune femme serra les dents, une fois de plus. Comme elle l'avait déjà fait tout au long de son existence. Le personnel s'affaira tout autour d'elle quand soudain, son râle de douleur résonna dans la pièce et vint se mêler à un éclat de vie si pur qu'elle en eut le souffle coupé. Elle baissa la tête vers la sage femme qui tenait entre ses mains un tout petit être rose, poussant ses premiers cris, les bras tendus vers elle. Une cascade de frissons s'empara d'elle lorsqu'elle posa enfin les doigts sur le dos du nourrisson.

— Félicitations, Madame, c'est un garçon. Vous voulez que l'on prévienne le papa ? 

La jeune mère demeura immobile pendant quelques instants. Incapable d'articuler le moindre mot, hypnotisé par le fils qu'elle avait tant espéré, allongé contre sa poitrine, et dont chaque souffle rapide et tremblotant avait d'ores et déjà des allures de bénédiction à ses yeux. Il était là, enfin. Tout ce qui lui restait de lui était là, dans ce petit être plein de vie, d'amour et d'espoir pour l'avenir.

— Madame ?

— Non. Ce n'est pas la peine. Il est mort.

— Oh... Je suis tellement désolée.

Elle laissa une larme s'échapper de sous sa paupière avant de reposer une main sur son fils. Si seulement il avait eu le temps d'apprendre qu'il allait avoir un petit garçon...

L'infirmière prit alors le bébé dans ses bras avant de l'approcher du visage de sa mère, encore tremblante de l'effort et de l'émotion qu'elle venait de vivre. Elle caressa le front de son enfant en souriant à travers ses larmes. Elle ne savait au plus profond d'elle même ; il serait beau et ressemblerait à son père. Cela ne faisait aucun doute. L'infirmière demeura un instant silencieuse, émue par le lien déjà si fort qui unissait ces deux êtres, puis reprit doucement :

— Je vais l'emmener faire sa première toilette et je vous le ramène tout de suite. Comment il s'appelle ? 

La mère déplaça son doigt sur la joue potelée de son bébé et effleura ses lèvres roses. Elle détailla son visage et la naissance de son cou, si petit, si fragile. Oui, il était bien là.

Elle prit alors une profonde inspiration en laissant une ultime larme de bonheur rouler sur sa pommette, avant de répondre dans un murmure :

— Shane... Il s'appelle Shane. 

Gueule d'ange [PREQUEL DVOS] (TERMINÉ)Where stories live. Discover now