12/ Compas

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     Elle n'avait pas dormi de la nuit. Elle n'aurait pas pu se le permettre, tout en sachant ce qu'était en train de vivre ses camarades. Alors elle était restée assise, dans le froid, recroquevillée sur elle-même. Comment en était-elle arrivée là ? Jamais elle n'aurait pu imaginer avoir une vie aussi pathétique.

     Elle plongea sa tête dans ses genoux ramenés contre sa poitrine et resta de longues minutes ainsi. Lorsqu'elle releva les yeux, ce fut pour être éblouit par les rayons du soleil et croiser le regard d'une femme portant un long morceau de tissu sous le bras. Un long frisson lui parcouru le corps. Ces yeux reflétaient toute la souffrance qu'elle avait endurée durant la nuit entière, et la jeune femme ne pouvait que baisser le regard.

     Il fut attiré par le sceau et l'éponge qu'elle avait laissés près d'elle la veille, en espérant ne jamais retourner dans la soute. Elle tendit la main vers le récipient et fut immédiatement arrêtée dans son geste :

     - Tu n'en auras pas besoin aujourd'hui.

     Elle leva un regard inquiet vers son maitre qui la surplombait de toute sa hauteur en se grattant la barbe. Si seulement elle pouvait elle aussi avoir une barbe, une poitrine plate et des bras d'hommes. Elle donnerait tout pour devenir un garçon riche travaillant pour gagner sa vie, ne dépendant de personne.

     Elle recula sa main et resta assise tout en observant le capitaine avec dédain.

     - Suis-moi.

     Il fit volte-face et elle se leva, les jambes tremblantes, pour marcher derrière lui. Il fit le tour du bateau, et elle fut obligée de marcher dans ses pas. Ainsi, elle pu apercevoir les visages de toutes les autres esclaves qui s'étaient misent à leurs tâches habituelles. Il l'avait certainement fait exprès. Après de nombreux détours sur l'immense bateau, il s'arrêta devant la porte d'une cabine. Elle était en bois, avec une petite fenêtre quadrillée au dessus. Il fit pivoter la poignée et se retira pour l'inviter à entrer.

     Ce qu'elle vit lui coupa le souffle. Jamais elle n'avait connu un tel luxe, et les matelots pour une fois, devaient être dans le même cas qu'elle.

     En face d'elle se trouvait quatre fenêtres également quadrillées à travers lesquels ont pouvait voir l'eau scintillante de la mer Japonaise. La pièce n'était peu être pas très grande, mais très somptueuse. En son centre, il y avait une grande table de bois où étaient entassés cartes, plumes, encre, compas, équerres et mappemondes. Elle fut invitée à s'asseoir sur une grande chaise rembourrée avec des coussins rouges moelleux et elle ne peu s'empêcher de sourire en étalant son corps meurtri sur cette surface si confortable. Il s'assit lourdement en face d'elle faisant d'autant plus tanguer la pièce. Le lustre au dessus de leur tête trembla et elle s'enfonça dans sa chaise, s'y sentant soudainement très mal.

     - Range la table, lui ordonna le capitaine.

     Elle se releva, toujours sans un mot et roula la carte, rangea les livres sur la petite étagère au fond à droite avec les autres, ferma la fiole d'encre noire, tout en sentant sans relâche cet horrible regard qui pesait sur elle depuis déjà plusieurs jours. Elle ne savait pas du tout la raison de sa venue ici. Elle s'attendait à absolument tout. Et aucune de ses pensées ne paraissait positive.

     Lorsqu'elle eut finit, elle se posta près de son maitre, debout, et attendit les prochains ordres.

     - Rassies-toi.

     Elle s'exécuta immédiatement tout en gardant une marche raide et un visage déconcerté. Elle observa la table, ou alors ses pieds nus, blessés et écorchés, mais jamais son regard ne se perdit une seule fois dans celui du capitaine. Elle avait horreur de cela.

     - As-tu faim ?

     Elle le fixa avec de grands yeux étonnés. Bien sur qu'elle mourrait de faim. De toute manière, jamais elle n'avait mangé convenablement tout au long de sa misérable vie. Mais elle ne voulait pas se laisser berner ou attendrir. Pourquoi était-elle la favorite ? Elle n'en savait rien. C'était un privilège, toutes les autres auraient aimé être à sa place. Mais cela ne l'enchantait guère. Voire même pas du tout. Appartenir entièrement à se rustre l'effrayait et la dégoutait en même temps. Elle aurait préféré se jeter à la mer, mais elle n'avait jamais réussi à se résoudre à cette option de se donner la mort, car l'espoir subsistait toujours en elle. L'espoir qu'un jour elle deviendrait indépendante, et qu'elle ne verrait plus aucun pirate, et plus aucun homme de sa vie.

     Elle secoua alors la tête. Tout ce qu'elle voulait à présent, c'était partir. Retourner faire le ménage. Occupation bien plus réjouissante comparé à ce qu'elle était en train de vivre maintenant.

     - Tu es sûre ?

Elle hocha à nouveau la tête avec ferveur et il soupira en appuyant son dos contre son dossier.

- Tu ne sais pas ce que tu manques.

Il se releva et elle ne bougea pas, tant qu'il ne lui aurait pas ordonné. Il passa dans son dos, et s'y attarda. Elle sentit son corps entier trembler de peur, surtout lorsqu'il approcha sa tête hideuse de son oreille :

- Tout ce que je veux, c'est te faire plaisir. Tu n'as pas envie toi aussi, de me faire plaisir ?

Il insista sur le dernier mot et elle déglutit. Elle ne savait pas quoi répondre. La peur lui faisait perdre ses moyens, il lui donna néanmoins, un choix facile à faire :

- Si tu ne me fais pas plaisir en mangeant ce petit repas avec moi, alors tu devras tout donner ce soir. A part si tu préfère le repas à...

Elle hocha la tête avant qu'il finisse sa phrase, son choix étant immédiatement fait.

- J'étais sûr que de bons petits plats t'allécheraient d'avantage.

Il sourit en dévoilant sa dentition immonde et sortit pour commander leur déjeuner, la laissant seule dans la cabine. Elle reprit calmement sa respiration. L'haleine fétide du pirate restait néanmoins présente dans ses narines et le souffle qu'elle avait ressenti sur son oreille continuait de la faire frémir. Sans y prendre garde, elle fut attirée par le grand compas posé à côté de la carte. Elle avait tellement envie d'en finir. Mais qui donc achever ? Elle-même ou celui qui était la cause de tous ses tourments ? Elle détourna le regard, ne souhaitant en finir avec personne. Pourtant, il exerçait une telle attirance sur elle, qu'elle finit par jeter un œil au dehors, pour ensuite s'avancer, tendre la main vers l'arme au bout extrêmement pointu, et refermer ses doigts autour. 

Origines (Princesse Mononoké)Where stories live. Discover now