23/ Monstre

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     Lorsqu'il n'était encore qu'un gamin, Ashitaka avait connu le plus grand tremblement de terre de son existence. Les arbres avaient frémis, les graviers sur le sol s'étaient mis à trembler, et quelques habitations de leur village avaient été endommagées. Son père l'avait néanmoins rassuré, en affirmant que l'épicentre du séisme s'était trouvé beaucoup plus à l'Ouest, et qu'ils avaient eu beaucoup de chance. Ashitaka avait pensé avec tristesse à tous les malheureux qui avaient dû perdre la vie au cours de cette catastrophe. Mais aujourd'hui, il devait se concentrer uniquement sur la survie de son village, et des derniers Emishi.

     Il avait emmené Yakkuru se dégourdir les jambes, sans pour autant le monter, car l'élan se montrait toujours aussi réticent. Il le tenait donc par la bride rouge attaché sur sa tête, et marchait à côté de lui dans une vaste prairie d'herbe verte. Il s'arrêta un instant pour brouter. Ashitaka avait laissé ses cheveux longs détachés, et ils flottaient dans le vent qui faisait frémir les feuilles des arbres de la forêt, et courber les herbes hautes. Le calme apaisant de la forêt fut dérangé par une longue plainte stridente qui résonna dans toute la forêt. Ashitaka, aux aguets, sortit son arc et ses flèches. Yakkuru le suivit prudemment, lorsqu'il commença à s'avancer vers le haut muret en pierre qui séparait la prairie et la lisère de la forêt.

     Un grondement se faisait entendre juste derrière la barrière en pierre. Ashitaka serra plus fort son arme dans son poing et prit son élan pour sauter par-dessus et atterrir gracieusement de l'autre côté.

     Ce qu'il vit le glaça d'effroi. Un singe gigantesque se tenait devant lui, en piteux état. Il peinait à déplacer son pelage noir sur le sol, laissant une trainée rouge de sang derrière lui. Sur son corps, on pouvait voir plusieurs blessures causées par des armes à feu que les Emishi n'utilisaient pas. L'orang outan aperçu le jeune garçon, tétanisé par ce qu'il voyait, et commença, à sa grande surprise, à parler :

     — Sale humain, vois tu comment vous nous réduisez, nous, les divinités de la forêt ?

     Il avait une voix très grave et menaçante, et sa bouche s'ouvrait à peine. Il semblait en proie à une violente colère, contre les hommes qui lui avaient fait subir cela. Ashitaka se senti offensé :

     — Nous n'avons rien à voir avec les monstres qui vous on fait du mal. Laissez nous vivre en paix, et nous continuerons à respecter la forêt.

     Pourtant, cet animal ne venait pas de leur forêt. Il venait certainement d'une forêt sacrée où les Dieux vivaient encore sous forme d'animaux géants. Ashitaka n'avait pas peur d'offenser cet orang outan arrogant, qui allait certainement bientôt mourir.

     — Insolent ! Tu es comme tous les autres ! Nous allons tous mourir, même les autres Dieux nous abandonnent. Les loups s'amusent à adopter des petites humaines, nous allons disparaître et les humains doivent payer.

     A ces mots, il usa de ses dernières forces pour se jeter sur le jeune homme qui s'écarta à temps et banda son arc. Le bout de sa flèche était pointé sur la tête ensanglanté de l'animal qui le regardait avec une lueur de folie dans les yeux :

     — Vous périrez tous vous aussi. Le Dieu cerf ne permettra pas que des humains comme cette femme aux bâtons de feu, n'exploitent la forêt jusqu'à l'anéantir.

     — Je ne veux pas vous tuer, alors repartez et allez tuer des humains ailleurs !

     Ashitaka n'avait pas rangé son arc. Le Dieu sembla soudain s'affaiblir, et sa peau frémit. Des dizaines de vers noirs et grouillants commencèrent à en sortir, et il murmura :

     — Je brûle, la haine me dévore. Je te détruirai, toi et tes semblables, sale humain.

     Ashitaka était effrayé par le singe qui se transformait peu à peu en une masse noire et grouillante de vers gluants. Il semblait complètement avoir perdu la raison. Le jeune homme, ne sachant que faire, recula d'un pas. L'orang outan ne parlait plus. Il semblait s'être fait avaler par une puissance mauvaise et dévastatrice.

     Soudain, une sorte de long bras recouvert de vers sorti de la boule noire entourant le Dieu et se dirigea à une vitesse phénoménale vers le jeune homme. Il s'écarta à temps, comprenant qu'il ne devait en aucun cas se faire toucher par cette chose. Le bras s'écrasa contre un arbre dont l'écorce et les feuilles prirent à son contact, une teinte rougeâtre. L'arbre était mort en un rien de temps, juste à cause du contact de cette bête. Ashitaka, souhaitant plus que tout sauver sa vie et celle de la forêt, décocha une nouvelle flèche qui se planta en plein cœur de la boule noire. Le singe poussa un hurlement strident. La boule noire gesticula, puis trois bras en sortirent à nouveau pour foncer droit sur le jeune homme. Sentant le danger approcher, il sauta de nouveau par-dessus la barrière et accouru après de l'élan qui n'avait pas bougé d'un iota.

     — Cours Yakkuru !

     Voyant son futur maître approcher en courant, suivi de deux longs bras noirs, il ne perdit pas son temps et parti au galop.

     Ashitaka courait très vite, mais l'élan était plus rapide. Ashitaka le vit pivoter en direction du village, car c'était là où se trouvait son enclos, mais il ne fallait pas attirer le monstre vers les villageois.

     — Yakkuru, pas par là !

     La monture n'en faisait qu'à sa tête, et le jeune homme intrépide s'approcha d'elle. Dans sa course, il lui saisit brutalement les cornes et sauta sur son dos. L'élan gesticula, mais Ashitaka prit les rennes, et le fit changer de direction, au moment ou un bras lui frôlait la patte, manquant de le toucher.

     Ils se coordonnèrent parfaitement, et l'élan ne rejeta pas le jeune homme. Alors qu'il faisait un bond gigantesque et se stabilisait dans les airs, Ashitaka se retourna en une fraction de seconde et tira dans le bras qui les poursuivait. Il n'en vit pas plus et se remit droit pour se cramponner au cou de l'élan lors de leur atterrissage, qui ne fut pas si mauvais.

     Le cri strident retenti de nouveau, et Yakkuru ralenti sa course, pour finalement s'arrêter complètement. Les bras étaient retombés sur le sol, asséchant l'herbe et les buissons et Ashitaka décida d'en finir. Il tira une dernière fois dans la masse gesticulante, qui finit par s'effondrer lourdement sur le côté. Les vers disparurent et il ne resta plus que le cadavre en décomposition du Dieu, gisant sur le sol.

     Yakkuru reconduisit Ashitaka au village qui n'était plus très loin. Kaya accouru pour le saluer, lorsqu'elle vit son visage blafard et s'écria :

     — Grand frère, qu'est ce que tu as ?

     Il descendit de l'élan, les jambes tremblantes, et son père fit alors irruption :

     — Bien joué mon garçon, tu as enfin réussi à monter cette tête de mule.

     Kaya regarda avec inquiétude le chef du village qui remarqua alors l'état critique de son fils. Il s'agenouilla en face de lui, pour que le jeune homme à la tête baissée puisse le regarder. Les villageois se regroupèrent à l'entrée du village pour observer la scène à leur tour. La mère d'Ashitaka se fraya un passage à travers la foule et rejoignit précipitamment son mari :

     — Hé fiston, comment te sens tu ?

     La jeune femme ne prit pas le même ton détaché que le chef des Emishi :

     — Vois comme il est pâle ! Ashitaka, on dirait que tu as vu un fantôme. Répond nous voyons je t'en prie !

     — Je l'ai tué...murmura-t-il.

     Les villageois échangèrent des regards interrogatifs.

     — Qui as-tu tué Ashitaka ?

     Kaya se tendit. Elle semblait à cran comme tous les autres villageois qui se demandaient qui le futur chef de la tribu avait-il bien pu tuer. Le regard du jeune home devint sombre, et il se pinça les lèvres :

     — Un monstre.   

Origines (Princesse Mononoké)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant