24/ Tempête

46 11 8
                                    

     Le bateau tangua. Doucement dans un premier temps, puis beaucoup plus violement. La jeune femme ouvrit les yeux avec peine. Il faisait encore nuit, mais l'aube ne tarderait pas à pointer. Une vague très puissante la secoua, et fit tomber certains tonneaux. Elle était trop exténuée pour voir arriver l'énorme tonneau de vin qui roulait dans sa direction. Il stoppa d'un seul coup sa course, arrêté par d'autres objets, mais la jeune femme poussa un faible cri de douleur. Son poignet était complètement écrasé en dessous de l'énorme masse d'alcool. Elle se mordit la lèvre inférieure et ravala ses larmes de douleur. La vague suivante déplaça à nouveau le tonneau qui libéra la main meurtrie de l'esclave. Elle se massa le bras en gémissant et regarda la mer par-dessus la paroi du navire.

     Une tempête s'annonçait sûrement. La mer était déchainée, des vagues plus immenses et plus destructrices que les autres s'enchainaient sans relâche. Le vent commença à souffler. Elle tenta de se mettre debout et une bourrasque fit violement voler ses cheveux noirs de jais. Au loin, elle aperçu l'orage qui s'abattait sur les terres japonaises. Des éclairs déchiraient le ciel et une lueur rouge s'alluma alors. Sûrement un grand incendie. Elle se demanda alors si elle aurait préféré être dans le village où avait lieu cet immense brasier, ou sur ce bateau branlant, au milieu d'une mer déchainée.

     Les matelots s'éveillaient uns à uns. Ils attendaient les ordres du capitaine qui sortit de sa cabine. Il jeta un œil à sa captive qui lui répondit par un regard noir. Il se détourna et hurla :

     — Nous sommes à proximité d'un tremblement de terre, il se peut que l'eau devienne très agité et qu'un tsunami nous engloutisse. Nous n'avons plus qu'à espérer que cela n'arrive pas. En attendant, essayer de garder le contrôle de ce bateau. A vos postes immédiatement !

     Les matelots se précipitèrent vers leurs tâches respectives. Le vent devint encore plus fort, remuant poussière et gouttelettes d'eau de mer et la pluie commença également à tomber du ciel. La jeune femme qui se tenait fermement le poignet, pria pour qu'on leur permette à elle et aux autres de se mettre à l'abri durant la tempête. Son vœu fut plus ou moins exaucé. On lui attrapa le bras et on l'entraina vers une porte. Elle fut poussée dans la cabine du capitaine, et celui-ci referma la porte derrière eux. Il y faisait agréablement chaud et sec, et le vent ne sifflait plus dans ses oreilles. Le capitaine la fit asseoir sur son lit et l'enroula d'une couverture. Il se tenait debout devant elle, et elle fixa instantanément le sol, pour ne pas voir cet affreux visage qu'elle avait eu le loisir d'admirer toute la nuit.

     — Reste ici à l'abri. Je suis le capitaine, alors je dois aller aider mon équipage. Je te rejoindrai vite je te le promets.

     Avant de s'éloigner, il lui attrapa le menton pour lui faire lever la tête, et l'embrassa soudainement. Tout son être se crispa, pourtant, son geste n'avait pas été brutal, mais plutôt doux et sincère. Cependant, lorsqu'il referma la porte derrière lui, elle se leva instantanément du lit et alla se coller dans un angle de la pièce à l'opposé, toujours enroulée dans la couverture. Elle resta un moment assise sur le sol, à se faire balloter pas les vagues. Elle entendait à peine les cris et les instructions des matelots qui s'activaient dehors dans la tempête. Elle aurait presque pu s'endormir, vu la nuit qu'elle avait passé, et la chaleur apaisante de cette grosse couverture.

     Elle fut tirée de ses réflexions par la porte de la cabine qui s'ouvrit à la volée. Gonza jeta un œil à l'intérieur et son regard se posa sur la jeune femme. Il s'approcha d'elle et elle se colla instinctivement contre le mur.

     — Tout va bien ? s'inquiéta-t-il.

     Elle déglutit et hocha lentement la tête, recouvrant tout son corps de cette couverture qu'elle considérait comme un bouclier ou une carapace.

     — Montre-moi ta main.

     Elle fronça les sourcils et il tendit la sienne pour attraper le poignet endolori de la jeune esclave. Elle gémit faiblement et il l'examina :

     — C'est peut être cassé. Je vais te faire un bandage.

     Il attrapa un morceau de couverture et le déchira pour en faire une longue bande qu'il entoura autour de la main de la jeune femme. Elle se laissa faire, se demandant si elle avait le droit de lui adresser la parole. Pourquoi l'aidait-il ? Était-il jaloux du capitaine ? Ne faisait-il que cela pour la posséder ? Elle frissonna et retira brusquement sa main. Il lui jeta un regard neutre. Ni envieux, ni malveillant, et elle se dit que si il avait voulu lui faire du mal, il aurait eu l'occasion depuis longtemps.

     — Et les autres ? eut-elle le courage d'articuler.

     Il en fut surpris. C'était bien la première fois qu'il entendait sa voix. Douce, grave et mélodieuse en même temps.

     — Je vais faire mon possible pour les mettre en sureté quelque part, mais le capitaine ne semble pas s'en soucier. Si ça continue, elles vont toute passer par-dessus bord.

     La captive déglutit et détourna ses yeux tristes. Gonza s'attarda un moment sur son visage pâle, puis se reprit en main, et quitta la cabine aussi vite qu'il était entré.

     La jeune femme fut à nouveau seule. Elle se leva pour aller observer le paysage chaotique à travers les carreaux à gauche de la cabine. La mer était noire et plus énervée que jamais. Les vagues se dressaient, immenses et dévastatrices, pour s'écraser lourdement ou poursuivre leur course effrénée vers le rivage. La mappemonde au centre de la table trembla, puis s'écroula au sol, le lustre se balançait dangereusement de droite à gauche et les livres tombèrent de leurs étagères.

     Elle pensa à tous ceux et celles qui luttaient dehors en ce moment, tandis qu'elle attendait le naufrage, bien au sec dans les appartements du capitaine. Elle ne vit pas la vague gigantesque arriver et s'écraser contre la vitre devant elle, faisant pencher le bateau vers la droite. La jeune femme perdit l'équilibre et tomba sur le dos. Sa tête cogna violement contre le sol et elle ne se releva pas. Tout devint noir, et elle sombra dans le pays des rêves.

     Dans quelques heures, soit elle se réveillerait au milieu de ses camarades, soit elle coulerait au fond de l'océan.  

Origines (Princesse Mononoké)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant