3/ Esclave

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     Le soleil était haut dans le ciel. L'eau calme scintillait, la nature semblait être en harmonie. Même les profondeurs de l'océan, illuminées par le soleil de midi, semblaient accueillantes. Pourtant, rien n'était en accord avec le drame qui allait se produire.

     L'eau vacillante devint soudainement plus agitée. D'énormes vagues se formèrent, engendrées par un énorme bateau de bois qui traversait l'océan bleu azur à une incroyable vitesse. A son bord, des hommes s'activaient, hissaient une grande voile jaune ou ramaient. La majorité portait un habit vert qui leur arrivait aux genoux avec des manches retroussées, une ceinture bleue à la taille servant à porter un sabre, et une bourse. Ils avaient également des sandales et des protections sur les mollets, un bandeau dans leurs cheveux sales et emmêlés, et un regard malfaisant, parfois à moitié caché par un bandeau noir sur l'œil.

     Il s'agissait de pirates Wako, les pires bandits du Japon. Grimpant sur un mat, l'un d'eux aperçu alors une petite ville portuaire dont les habitants s'activaient au loin. Il en informa son capitaine, qui, regardant le soleil tourner vers l'ouest, gratta sa longue barbe brune et broussailleuse.

     - Nous accosterons ce soir. Nos intentions seront pacifiques, nous nous arrêterons en tant que bons commerçants et nous remplirons nos cales. Je connais un très bon marchand là-bas qui nous fera profiter de ses dernières trouvailles à un prix d'ami.

     Les rameurs prirent une pose pour s'alimenter et boire, après leurs efforts inhumains pour faire avancer un bateau de cette taille. Ils étaient environ une centaine, mais n'avaient pas le même statut que les autres matelots aux yeux du capitaine.

     A cette époque, au Japon, le nombre de pirate foulant la mer devenait de plus en plus élevé. A cause de leurs difficultés politiques, il était difficile pour les Chinois et les Coréens de surveiller efficacement leur immense façade littorale. Il était d'autant plus faciles aux pirates de les attaquer, eux qui ne prenaient justement pas de risques sur les côtes Japonaises.

     Le soleil commença à disparaître à l'horizon, et la progression des pirates Wako reprit. Ils glissaient, silencieusement dans le crépuscule sur la mer du Japon, pour se rapprocher de la pointe Sud du pays, endroit où ils n'aiment pas vraiment débarquer en plein jour. Ils naviguaient très souvent dans cette étendue, ayant accès à la chine pour piller et détruire des villages entiers, et ayant accès à leur pays natal pour commercer avec leurs richesses volées.

     Le capitaine observait le quai se rapprocher avec peu d'appréhension. Il était pratiquement vide maintenant, et il venait d'apercevoir son honnête commerçant avec qui il marchandait souvent.

     Ils amarrèrent le bateau, sans bruit, sachant que leur discrétion leur serait bénéfique. Puis le capitaine descendit, accompagné de quelques matelots, laissant les cent cinquante autres à bord pour guetter le moindre signe suspect.

     Le chef marcha le long de la planche qui séparait son navire et le quai, faisant claquer sa jambe de bois avec un rythme angoissant. Il fut immédiatement abordé par un petit homme à l'allure misérable, recroquevillé sur lui-même. Il avait un sourire malfaisant, dévoilant toutes ses dents jaunes ou noires, et marchait en boitant, le dos complètement déformé, le crâne à moitié chauve et les habits déchirés. Il tenait une lanterne ou brillait une petite flamme vacillante et l'approcha du visage de son acheteur.

     - Les marchandises sont prêtes, vous ne serez pas déçu encore une fois.

     Il chuchotait, pour ne pas troubler le calme qui régnait sur le port. Les derniers marchands faisaient rouler leurs tonneaux ou pliaient leur étalage tout en jetant des regards méfiants ou effrayés aux nouveaux arrivants. Le capitaine n'y prêta guère attention. Il savait qu'aucun d'eux n'oserait donner l'alerte. La dernière chose qu'ils voulaient était certainement s'attirer la fureur du capitaine des Wako.

     Celui-ci suivit le petit homme en faisant à nouveau claquer sa jambe sur les pavés, mélodie lugubre dans la nuit. La marchandise l'attendait bel et bien quelques mètres plus loin. Mais cette fois, pas d'armes, ni de nourriture. Des humains, et plus particulièrement, des femmes. Elles attendaient, pelotonnées entre elles dans leurs vêtements leur couvrant à peine le corps, les pieds et les mains enchainés. Le capitaine sentit ses matelots s'agiter près de lui. Il était lui-même impatient de connaître le visage de leurs futures esclaves.

     - Voici de dociles esclaves, toutes plus charmantes les unes que les autres. Alors qu'en dites-vous ? Vous ne trouverez pas mieux ailleurs. C'est un oui, ou bien un non définitif.

     - Uniquement des femmes ? grogna le grand homme barbu.

     - Oui, uniquement des femmes, bien plus faciles à gérer que les hommes, et bien plus agréables, si vous voyez ce que je veux dire...

     Le capitaine ne semblait pas convaincu. Il sentait le regard impatient de ses moussaillons, dévisager sa mine pensive éclairée par la lanterne.

     - Montre-les-moi.

     Satisfait, le petit marchand approcha la source de lumière vers les visages sales et désespérés de ses captives, qui baissèrent toutes immédiatement le regard. Le capitaine lui demanda de s'arrêter sur l'une d'elle. La lanterne s'attarda sur le visage doux et pâle d'une jeune fille presque adulte qui tourna la tête sur le côté pour éviter de sentir le regard du pirate se poser sur elle. Elle avait de longs et raides cheveux noirs de jais qui tombaient en cascade sur ses épaules. La bretelle de son habit glissa le long de son bras et elle le colla contre son corps frêle, ne pouvant faire usage de ses mains liées devant elle.

     - Regarde-le insolente ! lui hurla le petit homme.

     Elle hésita, puis plongea son regard noir dans celui du capitaine. Il en fut troublé, et elle aussi. Elle s'attarda sur son œil gauche et eut un léger mouvement de recul devant ce trou blanc qui remplaçait son iris et sa pupille. Une longue balafre rouge le traversait, et il n'en avait plus l'usage depuis déjà de nombreuses années. Mais le regard de cette femme était profond et envoutant.

     - Alors elle vous plait ? Vous la prenez ?

     - Je les prends toutes, informa le capitaine.

     Le petit homme ricana et marmonna :

     - Cela va vous coûter une petite somme d'argent vous savez ?

     Il fit un geste avec ses doigts pour exprimer le prix considérable que représentait l'achat de cette vingtaine de femmes.

     - J'ai de quoi payer.

     L'édenté sourit de nouveau et tendit ses mains vers la bourse que lui lança le pirate. Il l'ouvrit sans plus attendre et examina les pièces d'or tandis que le capitaine ordonnait à ses marins d'amener les esclaves sur leur bateau. Ils s'éloignèrent et entreprirent de repartir sur la mer, leurs achats terminés.

     - C'est toujours un plaisir de faire affaire avec vous... ricana le marchand pour lui-même à l'adresse des pirates. 

dolipraline

Origines (Princesse Mononoké)Where stories live. Discover now