20/ Fille

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     Pendant plus d'un an, Ashitaka continua à avoir par moments des visions étranges. Les trois éclairs rouges et la fourrure blanche demeuraient toujours, mais des détails se rajoutaient au fur et à mesure. Il avait apprit beaucoup de chose durant cette année bien remplie. Ses cheveux avaient poussés, et il les attachait parfois en chignon serré au dessus de son crâne, exactement comme son père. Chaque jour, il se sentait d'avantage puissant et important, car il devenait le portrait craché de l'actuel chef de la tribu, comme ne cessait de lui répéter sa mère. Il aurait bientôt quinze ans, et Kaya elle aussi ne cessait de murir et de grandir.

     Il lui avait beaucoup moins parlé des bribes d'image qui lui apparaissaient par moment à son amie, car il ne voulait pas qu'elle aille tout raconter à Hii-Sama. Elle avait l'air d'avoir tout oublié, pourtant, ce n'était pas le cas. Kaya se demandait souvent si les visions de son ami avaient cessé, mais elle se torturait beaucoup plus l'esprit pour savoir s'il lui faisait toujours confiance.

     Tous les soirs, elle se roulait dans son lit et s'imaginait les pires scénarios, elle qui était follement amoureuse du jeune homme. Lui cachait-il des choses ? Lui mentait-il ? Ce matin, elle prit son coussin dans ses mains et enfoui son visage fatigué dedans. Elle avait essayé la veille d'avouer ses sentiments à Ashitaka, mais elle s'était ridiculisée, sans qu'aucun mot ne soit sorti de sa bouche.

     Après avoir passé une nuit blanche, elle se leva les jambes tremblantes, et la première personne qu'elle vit à l'aube, fut le jeune homme lui-même qui lui fit un signe amical de la main. Elle se réfugia immédiatement dans sa maison et Ashitaka fronça les sourcils. Il trouvait Kaya vraiment étrange depuis hier.

     Il vit la demeure de la chamane qui surplombait le village et poussa un long soupir. Il remettait en question ses dons depuis quelques mois déjà. En effet, la soudaine attaque qu'elle avait prévue il y a un an déjà n'était toujours pas survenue. Ashitaka en était rassuré évidement, mais cela le faisait douter. Il repensa à l'Empereur qui était encore et toujours une source d'ennui pour son peuple. Il s'était perfectionné dans le maniement de l'arc et du sabre, mais il craignait toujours pour les autres membres de la tribu. Il avait évolué et se sentait prêt pour une prochaine guerre, mais son cœur était toujours aussi sensible et rempli de bonté, comparé à son père qui avait une pierre dans la poitrine. Il s'en voulu d'avoir de telles pensées. Son père était très attentionné, il ne méritait pas qu'on le calomnie ainsi. Les pensées du jeune homme furent soudainement interrompues. Les trois éclairs apparurent, mais il vit alors, pour la première fois, un visage. Un visage crispé, mais avec des traits doux, des yeux noirs et haineux, et trois triangles rouges peints sur les joues et le front. Les trois éclairs qu'il voyait inlassablement provenaient de là. Mais qui était cette personne ? Il aurait juré que c'était une femme.

     — Ashitaka, tes visions recommencent ? demanda soudainement Kaya.

     Le jeune homme se rendit soudainement compte qu'il s'était recroquevillé en se tenant fermement le front. Il cligna des eux et distingua les yeux cernés de son amie.

     — Kaya, il faut que je te parle.



     Ils s'étaient assis au pied d'un arbre. Kaya, l'esprit chamboulé, se tenait la poitrine, de peur que les battements de son cœur ne la fassent exploser. Ashitaka se tenait devant elle, il était si beau, avec son regard doux et son air perdu. Il voulait à nouveau se confier à elle, il l'appréciait vraiment, elle en perdait la tête.

     — Kaya, mes visions deviennent de plus en plus nettes.

     Son regard sérieux la fit fondre, mais elle essaya de paraitre tout aussi concentrée.

     — Alors elles ont continué, et tu ne m'en as pas parlé.

     Elle fit la moue, et il enchaina :

     — Il est vrai que j'aurais dû t'en parler, qui peut me comprendre mieux que toi ?

     Ses oreilles devinrent chaudes et elle balbutia :

     — Ce n'est rien, mais dis m'en plus.

     — La fourrure blanche appartient à un grand loup blanc, et il est monté par une personne.

     Kaya fronça les sourcils :

     — Quelqu'un qui monte un loup ? Comme on monte un élan ou un cheval ?

     Son ami hocha rapidement la tête et poursuivit avec vigueur :

     — Elle a trois marques rouges sur le visage, ce sont ces trois éclairs rouges dont je t'avais parlé tu te souviens ? Et il m'a semblé...

     Ashitaka laissa sa phrase en suspend. Etait-ce grave ce qu'il s'apprêtait à lui annoncer ? Pendant cette pause, Kaya songea au fait de lui ouvrir son cœur. Le cadre semblait parfait, harmonieux. La nature était en éveil, la rosée matinale apportait de la fraicheur, et les oiseaux chantaient gaiement dans les arbres de leurs montagnes.

     — Il m'a semblé que c'était une fille.

     Kaya en eut la gorge nouée. Pour elle, cette révélation était une immense gifle qu'elle recevait en pleine figure. Depuis des années, une fille occupait ses esprits, ses nuits, et la remplaçait elle ? Sa meilleure amie ? Avec qui il passait le plus de temps chaque jour ? Kaya déglutit, sachant que songer à cette fille était un signe du destin, et que jamais Ashitaka ne s'intéresserait à elle. Elle ravala quelques larmes et Ashitaka s'alarma :

     — Qu'est ce que tu as en ce moment Kaya ? Dis-moi tout s'il te plait.

     Il passa une main affectueuse sur sa joue, et elle eut presque envie de le rejeter. Pourtant, elle n'était pas en colère contre lui. S'il ne l'aimait pas, elle devait l'accepter et se contenter d'être son amie. Elle le regarda dans les yeux et balbutia :

     — Est-ce que je pourrais t'appeler « grand frère » ?

     Il parut soudainement abasourdi mais sourit ensuite et s'exclama :

     — Bien sûr, j'en serai honoré.

     Dans leur tribu, le terme « grand frère » désignait quelqu'un que l'on admirait et respectait grandement. Kaya fut heureuse ce jour là d'avoir enfin trouvé le courage de lui avouer une chose. La seconde resterait bien enfouie, car elle savait qu'Ashitaka repousserait ses avances. Pourtant, pour son bien, et non par vengeance, elle se promit de parler à Hii-Sama, pour savoir ce qui arrivait à son ami depuis déjà bien longtemps.  

Origines (Princesse Mononoké)Tahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon