41/ Cri

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Ashitaka ne réalisa pas immédiatement que son père avait reçu une balle d'arquebuse dans la poitrine et s'écroulait lentement sur l'herbe rougeoyante. Le temps lui paru suspendu un instant, et il cligna des paupières pour tenter de revenir à la réalité. Il fallait qu'il aille le sauver. Les larmes lui brouillaient la vue, et il tenta de les chasser pour voir où il allait, et ne pas tomber du haut de son perchoir. Il sauta sur le sol avec grâce, sans prendre le temps d'utiliser une échelle et se posta devant le trou béant qu'avait formé le précédent projectile sur les murs de leur village.

Ashitaka serra les dents. On lui avait ordonné avec ferveur de rester à son poste. Il se devait de respecter ces ordres, il allait bientôt devenir le chef des Emishi, il ne pouvait pas permettre d'en faire qu'à sa tête. Néanmoins, le corps inanimé de son père au loin l'appelait et son cœur se serrait en le voyant.

Le jeune guerrier chercha à faire un pas en dehors des murs de son village, et s'aventura en plein milieu du champ de bataille. Les soldats de l'Empereur gagnaient du terrain, et les Emishi devenaient de moins en moins nombreux. Ils n'étaient pas aptes à faire la guerre au sol ou au corps à corps. Le village d'Ashitaka était connu pour son adresse au tir à l'arc et sa capacité à se mettre à couvert et disparaitre sans laisser de trace. L'Empereur avait songé cette fois ci à mener un combat dans une parcelle de forêt défrichée, offrant donc un large terrain pentu dépourvu d'arbres et donc de cachettes ou d'angles de tir.

— Ashitaka !

Le jeune homme se retourna brusquement en entendant son nom et écarquilla les yeux à la vue des trois filles qui accouraient près de lui. Kaya et ses deux meilleures amies avaient descendu la montagne au pas de course sans rencontrer un seul soldat, qui avaient tous dus être mobilisés sur le champ de bataille. Elles avaient tout de même esquivés les cadavres laissés par Ashitaka sur son chemin et étaient entrées par derrière pour pénétrer dans le village désert et détruit.

— Qu'est ce que vous faites ici ? s'inquiéta le guerrier.

Les trois filles ne répondirent pas tout de suite, épouvantées par le carnage qui s'offrait à elle. L'une des trois ravala ses larmes devant sa maison réduit à néant par les projectiles ennemis.

— On voulait venir voir ce qui se passait en bas, répondit Kaya en tenant son chapeau de paille. Cela va faire un jour entier que nous attendons là-haut, nous n'avions pas prévu que cette bataille durerait autant et serait ci...destructrice.

Il était vrai que le jour commençait lentement à décliner et que jamais ils n'avaient connu un tel affrontement. Les soldats de l'Empereur repartaient généralement la queue entre les jambes au bout de seulement quelques heures, jamais plus d'une journée. Pourtant, la bataille semblait loin de s'achever à ce stade.

— Retournez immédiatement protéger les femmes et les enfants, j'ai confiance en vous, vous pouvez le faire.

L'une des amies de Kaya contredit l'ordre du jeune homme :

— Ils sont en sécurité là-haut, et c'est même eux qui nous ont conseillé d'aller jeter un œil au village.

Ashitaka soupira, il avait l'impression de prendre déjà le rôle de son père.

— C'est un ordre.

Les deux jeunes Emishi n'eurent pas le temps de répliquer car Kaya les interrompit, le regard porté au loin :

— Ashitaka, c'est...c'est ton père là-bas ?

Elle avait voulu s'assurer que son propre géniteur était toujours debout en train de se battre, et elle était tombée sur le corps du chef des Emishi, jonchant le sol comme beaucoup d'autres.

Le jeune guerrier perdit alors ses moyens et baissa la tête pour verser quelques larmes silencieuses tout en serrant les dents, se forçant à rester digne. Kaya laissa tomber son chapeau au sol et se précipita vers son ami pour le prendre tendrement dans ses bras. Elle le serra contre lui en lui murmurant des paroles douces de condoléances. Il humidifia la tunique bleue marine de la jeune fille avec ses larmes salées. Le bruit des arquebuses et des épées s'entrechoquant résonnaient dans la tête d'Ashitaka. Il en avait assez de lutter, mais il ne pouvait pas abandonner son peuple. Il était, à partir de maintenant, l'héritier du chef des Emishi de manière légitime, même s'il était encore trop jeune pour assurer ce rôle.

Ils restèrent ainsi pendant un long moment, jusqu'à ce que des cris dominant les autres se fassent entendre.

— Mon prince ! Ashitaka !

L'intéressé releva lentement la tête de l'épaule de Kaya et fit face à l'homme qui se tenait en dehors des remparts du village et qui lui faisait des signes.

— L'Empereur gagne du terrain, nous ne pourrons pas résister plus longtemps, que décide-tu ?

Ashitaka avait le visage sombre. Il repense à ce qu'il avait imaginé quelques instants auparavant et ordonna avec autorité :

— Repliez-vous tous immédiatement !

Grâce à l'obscurité, le repli des hommes Emishi se fit facilement. Ils revinrent tous se réfugier derrière les remparts du village qui n'étaient pas tous tombés. Leur nombre avait grandement diminué, et tandis que les blessés se faisaient soigner, les autres s'étaient rassemblés autour de leur prince. Hii-Sama l'avait rejoint, après avoir médité à l'abri dans sa tente pour essayer d'entrevoir l'issu de cette guerre. Elle n'avait vu aucune perspective de victoire pour les Emishi, mais se garda bien de le dire au jeune homme, auquel elle apporta plutôt tout son soutient :

— Je suis vraiment désolé pour ton père, jeune prince.

Les autres hommes firent également un moment de silence à la mémoire de leur chef bien aimé.

— Ecoutez moi, leur intima ensuite Ashitaka qui semblait avoir reprit courage et remit ses pleurs à plus tard. Nous ne pourrons sortit vainqueur de cette guerre qu'en utilisant nos aptitudes. Alors postez-vous en haut des remparts de notre village et tirez sur ces maudits envahisseurs pour les chasser définitivement comme nous l'avons toujours fait.

Son message fut entendu et tous les Emishi s'empressèrent de se positionner face aux soldats de l'Empereur qui se préparaient pour une nouvelle attaque sanglante, mais qui prenaient également le temps d'honorer leur mort et soigner leurs blessés. Les deux camps firent brûler leurs torches pour mieux s'apercevoir dans l'obscurité dorénavant totale de la nuit.

Les projectiles fusèrent alors des deux côtés. Les lourdes pierres volaient en direction du village et les soldats ennemis couraient à découvert en direction des Emishi. Aucun ne pu avancer plus loin qu'une barrière invisible qu'avaient délimité les archers et qui se faisaient un plaisir d'abattre les soldats un par un avant qu'ils n'aient fait un pas de plus.

Ashitaka retrouva un peu d'espoir en voyant la progression clairement apparente de son peuple. Lui-même ne manquait aucune de ses cibles et attendait le moment où leur chef déciderait de se retirer.

Ce moment n'arriva jamais. Au contraire, le sang d'Ashitaka se glaça d'effroi au moment où résonna dans la nuit, un cri. Un long cri effrayé. Un cri de femme.  

Origines (Princesse Mononoké)Dove le storie prendono vita. Scoprilo ora