— Pas de problèmes. Si vous voulez bien me suivre ?

La jeune femme fit quelques pas vers Angie et attrapa doucement sa main.

— Tu viens ?

Bon gré mal gré, elle l'entraîna à travers les couloirs de la morgue. Après quelques courtes secondes de marche, l'infirmier s'arrêta devant l'une des portes et expliqua calmement :

— Bien, c'est ici. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous pouvez m'appeler, je ne serai pas loin. Courage, mesdemoiselles.

Doutant de sa capacité à retenir le flot d'émotion qui la submergeait, Loïs le remercia d'un signe de tête. Lorsqu'il se fut éloigné, elle inspira profondément et se tourna vers Angie, tout en ravalant le début de sanglot qui obstruait sa gorge. De son côté, la future mère fixait le sol à la manière d'un mort vivant. Loïs la positionna alors délicatement face à elle et lui murmura, d'une voix tremblante :

— Ça va aller, ma belle. Je suis là, on est là, toutes les deux, d'accord ?

Angélique hocha doucement la tête et laissa échapper une fine larme au moment où Loïs actionna la poignée et pénétra à pas comptés dans la nouvelle pièce.

Lorsque la porte se referma derrière elle, un frisson glaçant parcourut son corps entier. Le néant sonore pesait d'autant plus sur son esprit ici que dans la salle d'attente. Le même néon blanc illuminait les lieux dont les murs étaient recouverts d'une immonde tapisserie vert d'eau. Il n'y avait rien. Rien d'autre qu'une chaise et une petite table de chevet, près d'un lit d'hôpital dans lequel était allongé Ayden. Rien d'autre que cette étrange sensation, que ce désir implacable de vouloir à son tour retenir son souffle. Comme si ce dernier était de trop en ces lieux.

Angie n'osa pas relever la tête. Elle s'était figée à quelques pas du lit, comme paralysée par son propre cauchemar. Loïs passa un bras autour de sa taille et de son autre main, prit la sienne pour l'accompagner vers la petite chaise. Elle l'installa délicatement sur l'assise, afin de la prévenir d'une chute éventuelle qui, dans son état, serait des plus déplorables.

— Reste-là.

Angélique garda son regard braqué sur le sol, catatonique. Seule sa respiration tremblante trahissait la nervosité dans lequel elle était plongée. Loïs posa alors les yeux sur la dépouille étendue dans le linge de lit blanc et sourit faiblement à la vue de ce visage familier.

— Salut, Ayden...

L'écho de sa voix lui répondit aussitôt tandis qu'elle s'approchait lentement du lit, frémissant de tous ses membres. Le drap immaculé était remonté jusque sous les aisselles du jeune homme, masquant les impacts de balle et les traces de l'autopsie qui avait été pratiquée sur son buste. La tête droite, les traits parfaitement apaisés, il semblait dormir du sommeil du juste. Mais cela était sans compter sur la froideur de sa main qui électrisa Loïs quand elle la frôla des doigts. Alors elle se redressa et, pendant de longues secondes, se contenta d'observer le défunt, sans dire un mot.

À ses côtés, Angie, armée de tout son courage, posa furtivement les yeux sur Ayden. Elle n'avait jamais vu de cadavre de sa vie et Dieu savait à quel point son désespoir de voir celui d'Ayden en premier était grand. Lorsqu'elle s'aperçut de son mouvement, Loïs intima d'une voix douce :

— Viens.

Elle tendit une main à son amie. Celle-ci hésita un instant, puis finit par s'en saisir. Elle se leva et fit un pas craintif en direction du lit. Son regard embué de larmes oscillait entre la main d'Ayden et le sol. Malgré toute la force qu'elle avait réussi à puiser en elle, la jeune femme ne pouvait se résoudre à lever les yeux vers le visage du défunt. Loïs se contenta donc de passer ses bras autour des épaules de la jeune femme et de la serrer tout contre elle. Les deux amies restèrent longuement prostrées l'une contre l'autre, écoutant les battements de leurs deux cœurs rompre le silence de la mort.

Gueule d'ange [PREQUEL DVOS] (TERMINÉ)Where stories live. Discover now