Cercle impromptu

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« Merci. Merci Viviane, je ne sais ce que je serais sans toi, chuchotai-je à son oreille.

-Ne me remercie pas, me coupa-t-elle froidement. Je ne suis pas venue pour me réconcilier mais pour vous aider, toi et Adam, avant qu'il ne soit trop tard.

-Silence.

La profonde voix d'Hélène, la plus vieille sœur, résonna d'un ton solennel, d'habitude douce et presque plus jeune que les nôtres.

Nous fermâmes de nouveau les yeux. Au centre du petit autel où se dressait la statue de bois de rose qui représentait Vénus, tous les livres d'Hélène avaient été disposés dans un ordre précis, du plus au moins ancien avec la page volée, et rendue, pliée en quatre au pied de la statuette. Comme toutes nos autres sœurs étaient absentes de ce cercle de prières improvisé, nous nous étions toutes les trois disposées en triangle autour de l'autel, dans la position du salut au soleil : genoux pliés, front collé au sol et bras en avant. Je n'avais encore jamais invoquée la déesse. Mais si Hélène elle-même n'avait pas la réponse à notre problème, nous n'avions guère d'autre solution que de convoquer notre marraine en personne.

Soudain, Viviane poussa un cri strident et roula sur le sol en se débattant contre du vide. Je voulus courir vers elle, mais Hélène m'arrêta d'un geste :

-Laisse-la. Si le transfert est long, c'est qu'il était trop tôt pour elle pour accueillir notre Mère. Il faut qu'elle libère de la place pour son âme. Je n'avais pas prévu que cela se passe avant un long moment.

De ma place, à quelques mètres d'elle, je la regardai geindre et se cramponner à ses épaules, à ses genoux, à ses cheveux… Puis elle ferma les yeux et, les cheveux collés au front par la sueur, elle se redressa de toute sa hauteur. Quand elle les rouvrit, ses yeux brillaient d'un étrange éclat et, sur ses lèvres vermeilles, un sourire serein et bienveillant s'était dessiné. Elle nous fit signe d'approcher et Hélène vint à genoux embrasser ses pieds blancs. Moi-même je n'osai pas me redresser pour la regarder en face, tant sa beauté m'intimidait. Elle parla dans une langue qu'Hélène dut traduire :

-C'est du latin. Elle dit que cela faisait longtemps que nous ne nous étions pas vues, elle et moi. Nous ne nous voyons que dans deux cas : pour l'anniversaire du cercle, et…

Hélène, du haut de ses cinquante ans, baissa la tête comme une petite fille et joignit les mains. L'apparition parla de nouveau, mais son ton de voix avait changé. A ses mots, Hélène hocha la tête :

-Elle dit qu'elle sait que c'est à cause de toi, Morgane.

Viviane me regarda en face, et j'en fus tétanisée. Cette femme n'était définitivement pas mon amie, pas plus qu'elle n'était humaine. Son sourire s'était effacé et elle me regardait à présent comme si elle pouvait absorber mon âme de par mes yeux. Quelle ne fut ma surprise de l'entendre cette fois-ci s'adresser à moi en français, même si sa voix était toujours aussi changée :

-Tu t'es servi de mes sorts pour corrompre un amant. Tu as abusé de la confiance de ma plus fidèle prêtresse. A présent, ton amant se meurt, deux fois. Pourquoi amener un tel affront au sein de mon cercle ? Qu'espères-tu, à présent ?

Le sang battait à mes tempes et la salive me manquait. C'est d'une voix presque rauque que je répondis à ma déesse :

-Je… voudrais inverser le sort du prince charmant. Je ne sais plus quoi faire.

Viviane s'approcha de moi et prit mon visage dans ses mains. Ses genoux tremblaient et ses doigts étaient glacés :

-Je te connais. Nous, les dieux, connaissons chaque mortel comme si l'avions enfanté. Et tu n'es pas une prêtresse digne de mon nom si tu répètes les mêmes erreurs que Dame Vénus.

Je ne sus que répondre, tant j'étais stupéfiée de cette réponse. Mais Hélène releva la tête et expliqua :

-Vénus était et sera toujours la plus belle femme de l'univers, celle qui incarne l'amour et les passions qui y sont liées. Il fut un temps où elle était mariée à Vulcain, le dieu forgeron des foudres de Zeus. Il était laid et boiteux, et seul le fait d'avoir piégé sa femme lui permit de demander au chef suprême des dieux la main de Vénus, qui ne l'aimait pas. Elle voyait en secret Mars, le dieu de la guerre. Mais elle fut dénoncée à son mari et, jaloux, il forgea un filet d'or qu'il étendit un soir sur le lit nuptial. Alors que les amants étaient nus et venaient de s'allonger, le filet se referma sur eux et, alors que leur nudité était exposée, Vulcain convoqua tous les dieux de l'Olympe pour que chacun puisse faire d'eux deux la risée de tous.

Viviane grimaça au récit de cette histoire avant de s'adresser de nouveau à moi :

-L'histoire date de milliers d'années, mais je sens encore les marques des cordes sur mon ventre comme si elles dataient d'hier. La leçon a été apprise. Moi qui voulais tromper, j'ai fini enserrée dans mon propre piège et j'ai humilié non pas un mais deux hommes, mon mari et mon amant.

Viviane respirait maintenant difficilement, l'air entrait et sortait de ses narines avec beaucoup de difficultés :

-Il me reste peu de temps… Héphaïstos était un bon artisan. Je n'aurais jamais pu me libérer du filet seule : plus nous nous débattions, plus notre honte était visible et pressée de front contre les mailles d'or. Tu dois percer le filet que tu as tissé.

-Mais comment ?

-Les mailles sont fortes… perce le filet…

-Comment ? Répétai-je, haletante.

Mais Viviane tituba et s'effondra. Hélène se pencha à son bord et la redressa sur le côté tandis qu'elle convulsait, les larmes aux yeux. Enfin, elle sortit un mouchoir de sa poche et essuya les larmes et la sueur sur son visage alors qu'elle se réveillait.

-Est-ce que… tout s'est bien passé ? Demanda-t-elle d'une voix faible.

Hélène hocha la tête.

-Tu es encore faible, ma belle. Si tu n'arrives pas à reprendre des forces, tu peux rester dormir ici, si tu le souhaites. Morgane, c'est comme tu veux aussi.

-… Qu'est-ce qu'elle a voulu dire par « percer le filet » ? Répondis-je, troublée.

Hélène me regarda gravement.

-Ça veut dire ce que ça veut dire. Il faut combattre le mal à la racine.

A terre, Viviane reprenait lentement son souffle et se tenait droite malgré les efforts que la transe lui avait coûtés. Elle tenta de se relever mais elle était encore trop faible pour tenir debout. Je m'agenouillai à ses côtés.

-Viviane… murmurai-je tandis qu'elle tournait la tête vers moi. Merci. Pour tout. Je ne mérite pas une amie comme toi… Je suis désolée.

En silence, elle concentra le peu de force qu'elle avait pour lever les bras et les porter autour de mon cou et me serrer contre elle.

-Bonne chance.

Je la remerciai et finit par les quitter toutes les deux, alors qu'elles me saluaient encore à l'entrée de l'appartement d'Hélène avec un grand sourire.

-Je te porterai toujours dans mon cœur, répondis-je à Viviane.

-Pourquoi tu parles au futur ? Moi, je te porte toujours dans le mien, au présent. »

Je lui souris et finit par fermer la porte derrière moi. Jamais je n'aurais pu lui dire qu'à présent, tout me restait à faire et que comme Hélène l'avait dit, il me faudrait désormais réparer la faute et combattre le mal à la racine. Alors que j'étais à mi-chemin, mon portable vibra et je reçus un message :

« Reviens vite. J'ai besoin de toi.

Adam »

Je t'accepte (Adam Lambert fanfiction)Where stories live. Discover now