Chapitre 1 : L'arrivée / Sous chapitre : La rentrée

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Le bus en provenance de la gare vient de nous déposer. J'arrive devant un lycée, tout beau, tout propre. Un grand ensemble de sept bâtiments sur trois étages aux crépis pastels reliés par une cour de verdure sans aucune mauvaise herbe. Pas un brin plus haut que l'autre. Pas une fleur dans l'océan vert. Quelques pins fournissent un peu d'ombre sans laisser une seule aiguille au sol. On dirait le décor en carton-pâte d'un film. Ce semblant de perfection m'énerve déjà. C'est trop aseptisé, trop uniforme à mon goût. Tellement artificiel que pas un piaf ne chante. Je sens que je ne vais pas me plaire ici. Je n'ai rien à faire dans cette ville. Je suis une campagnarde.

Je n'ai pas le choix. Je ne suis pas ici de ma propre initiative. On m'a forcé la main. Mes parents ont vécu sous la coupe de Papinou toute leur vie et ils sont partis en voyage dès qu'il est mort, avec l'héritage. Il faut dire que Papinou est, non était, un vieux grincheux. Il les obligeait à bosser, ce qui n'était pas du goût de mes géniteurs. Moi, je l'aime bien mon grand-père. C'est lui qui m'a élevé depuis ma naissance en réalité. C'est mieux ainsi d'ailleurs. Je ne serais probablement plus en vie si l'un des deux s'était occupé de me torcher le cul bébé ou de me cuisiner quelque chose de comestible. La beauté vaniteuse de Mère n'aurait pas survécu à un pied main bouche en commun sur son soi-disant beau visage. Mes parents sont des fainéants rêveurs incapables de se trouver un vrai boulot et de se rendre utile. Ce n'est pas Papinou qui me l'a dit. Je l'ai réalisé toute seule en les observant.

La preuve, s'il en fallait une, c'est qu'ils n'ont même pas daigné nous conduire ici eux-mêmes et nous ont laissé nous démerder seules avec nos valises. Je ne vous dis pas le périple depuis ma campagne profonde où un seul bus passe par jour. Ne pas le rater, arriver dans un plus gros village, prendre un petit train, puis un plus gros et enfin ce bus et ne pas se tromper d'arrêt. Le tout au pas de course avec un bon gros sac à dos chargé à bloc. Heureusement que je suis dégourdie et sportive. J'avais tout bien planifié avant de partir, connaissant chaque horaire et dans quelle direction me diriger un arrêt après l'autre. Pas une seconde de retard de ma part sur le planning. Même la lenteur légendaire du service ferroviaire a été prise en compte dans les calculs. Mes géniteurs sont vraiment un duo de feignasses.

Mais qui est cet enfant indigne, me direz-vous ? Je me présente : Mégane Farmer. Tiens, un autre exemple de leur incapacité à faire quelque chose de bien. Quitte à avoir un prénom de bagnole, ils auraient pu me donner celui d'une vraie voiture. Style Jeep, Rubican ou Rover. Pas celui d'une merdouille pour citadins. Je me serais éclatée à me prénommer Cherokee. Vraiment trop naze.

Bref ! Reprenons. Quinze ans. Un mètre soixante et onze. Corpulence athlétique. J'aime transpirer et utiliser mes muscles. Quelques petits bourrelets de bonne bouffe pour être honnête. C'est trop bon la bouffe pour s'en priver. Et puis, je suis en bonne santé. Cheveux châtains ondulés jusqu'au bas du dos, souvent attachés avec un bout de bois en chignon négligé. De magnifiques yeux verts et des traits fins d'après Papinou. Deux demi-melons supers chiants à trimballer en guise de pectoraux que je bande souvent pour aplatir. Ça, c'est pour l'aspect corporel. Un look indéfinissable, je dirais masculin. Je porte soit des rangers, soit des baskets, toujours sombres. Mon jean est large, taché et troué, de couleur noire ou bleu marine. Le haut est dans le même style, un tee-shirt quatre tailles trop grand, planqué sous un pull informe de préférence vieux, confortable, usé et sombre. Ni gothique, ni grunge, encore moins fashionista. Pratique mais indéfinissable.

J'ai aussi un sale caractère si on en croit les incapables qui me servent de géniteurs. Mais ça, je crois que vous l'avez déjà compris, je pense. Je dirais plutôt que j'ai du caractère et que je ne mâche pas mes mots. Je ne suis pas trop conne alors quand je tombe sur un gros lourdaud butor, je ne me laisse pas marcher sur les pieds et je dis ce que je pense, tant pis si cela ne plaît pas. De toute façon, ceux qui cherchent la bagarre verbale ou physique se sont ratatinés comme des crêpes.

A quoi tient la survie?Where stories live. Discover now