Chapitre 23

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La marche commença, rythmée par les chants des oiseaux nocturnes et les zonzonnements aigus des moustiques. Si Gordon ne semblait pas importuné, Kathy ne cessait de se donner des claques dans le cou. D'aussi loin que ses souvenirs remontaient, ces maudits insectes l'adoraient. Elle se demandait à présent s'il s'agissait d'une particularité de son sang. La réflexion l'amusa : elle était entourée de suceurs d'hémoglobine ce soir.

Rapidement, la nuit tomba tel un épais rideau. Il fallut à Kathy une centaine de mètres pour réaliser qu'elle y voyait comme en plein jour. Ses pupilles s'étaient accommodées sans qu'elle s'en rende compte.

Au cœur de la montagne, loin de la moindre lueur de la ville, l'obscurité régnait en maître absolu, pourtant aucun de ses compagnons n'alluma de lampe torche. La sensation d'appartenir à une autre espèce, bien plus adaptée que l'homme à son environnement, lui donna un instant le vertige.

Tous les cinquante pas, Gordon s'immobilisait pour observer les alentours, humer l'atmosphère et écouter la vie nocturne. Il repartait ensuite, suivant une piste que lui seul distinguait.

Ils s'arrêtèrent vers 21 heures pour dîner des rations qu'ils avaient emportées. Depuis l'épisode du parking, une tension latente régnait sur le groupe. Elle tenta bien d'entamer un semblant de conversation, qui s'éteignit d'elle-même faute d'alimentation. Elle se découvrit affamée et engloutit ses barres protéinées avec autant d'enthousiasme que s'il s'était agi de tagliatelles aux morilles, son plat préféré. Elle lécha même l'extrémité de son index pour aller cueillir les miettes collées au fond de l'emballage et rougit en se rendant compte que Lilith l'observait, le nez plissé de dégoût. À l'évidence, ce repas spartiate n'enchantait guère le succube. Ils repartirent dès qu'ils eurent terminé.

Dans le ciel, la Lune à demi-pleine jouait à cache-cache avec la cime des sapins. La température ambiante baissa soudain. Kathy n'avait jamais souffert du froid : elle était capable de sortir en t-shirt dans la neige. De par sa nature, Gordon y était insensible. Pas Lilith, à l'évidence, qui ferma sa veste jusqu'au cou, imitée par Christobald.

Des parfums de résine et de myrtilles flottaient autour d'eux, rassurants. Parfois, un éclat blanc déchirait la nuit, accompagné d'un cri rauque et strident. Une chouette effraie en chasse. Entourée de cette nature sauvage, dans laquelle ils n'avaient guère leur place, Kathy avait l'impression qu'ils faisaient un boucan du tonnerre.

La pente s'accentua encore, sans que Gordon ralentisse pour autant. Il se jouait des buissons et des rochers, tandis que Kathy peinait derrière lui. Parfois, il se retournait et lui proposait sa main pour l'aider à franchir un obstacle abrupt. Elle avait le sentiment que son univers se résumait à cette marche forcée et à cette paume tendue vers elle. Le jeu en valait-il la chandelle ?

À plusieurs reprises, elle se tourna vers Christobald pour lui offrir à son tour son aide après avoir escaladé un rocher moussu. À chaque fois, il la déclina. Lilith fermait la marche à une dizaine de mètres en arrière. Sa chevelure rousse flamboyait dans l'obscurité, tel un incendie de forêt prêt à s'étendre.

Vers minuit, Kathy commença à fatiguer. Elle trébucha une première fois sur une souche, puis une seconde dans un pierrier. Sa semelle dérapa et elle poussa un juron en tombant sur les genoux et les mains. Tandis qu'elle se relevait, le sol se déroba sous elle. La montagne s'éboulait ! Elle chercha à quoi se rattraper alors que les cailloux l'entraînaient dans la pente. Christobald réagit immédiatement : il se décala et la saisit au vol par le poignet, puis la tira à lui avec une force étonnante. Quand leurs peaux se touchèrent, une sensation désagréable remonta dans le bras de Kathy, à la manière d'une anguille visqueuse. Le nécromancien la soutint le temps qu'elle reprenne son équilibre, puis la lâcha. Devant son air mi-perplexe mi-dégoûté, il dit :

— Peu de gens supportent notre contact.

Lilith qui les avait rejoints émit un grognement fort peu féminin avant de répliquer :

— Ce que les gens détestent, c'est votre capacité à capter l'essence de l'âme par le contact. Ce que tu as ressenti, Kathy, c'est la nécromancie qui visitait ton corps, histoire de pouvoir en prendre le contrôle si tu n'étais plus là pour le diriger.

— En même temps, est-ce important ou utile de m'inquiéter de ce qu'il adviendra de mon corps si je ne suis plus là ?

Christobald sourit franchement à sa réponse.

— Merci Kathy. Enfin quelqu'un de pragmatique !

Lilith pinça les lèvres avant de lancer à Gordon qui patientait une dizaine de mètres en amont :

— On devrait s'arrêter, on a tous besoin de quelques heures de sommeil.

Le vampire hocha la tête.

— Il y a une roche plate un peu plus haut. Rejoignez-moi.

Un quart d'heure plus tard, Kathy dormait à poings fermés, roulée en boule sur le sol dur, avec son sac à dos en guise d'oreiller.

Lilith, Gordon et Christobald se partagèrent les tours de garde. Lorsque vint celui du nécromancien, aucun de ses compagnons ne remarqua qu'au lieu de surveiller les alentours, il avait plongé dans une transe légère. Dans son cou, sur ses bras, autour de son torse, les tatouages se tordaient comme des serpents.

Exogènes - Le sang de la lignéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant