Exogènes - Le sang de la lignée

Chapitre 18

Fichtre, songea Gordon, cette jouvencelle marquait des points ! Si elle continuait ainsi, elle recevrait prochainement une proposition d'engagement de la part de la Légion. Une de celle qu'on ne refuse pas.

— Cela risque d'être compliqué, répliqua Christobald. Tu as été découverte durant l'attaque d'un convoi, à une trentaine de kilomètres de Grimentz. Nous ignorons la localisation exacte du complexe dans lequel tu te trouvais. Nous soupçonnons qu'il s'agit d'un de ces fameux bunkers dissimulés dans les montagnes, mais ils sont presque indétectables.

Elle réagit immédiatement :

— Gordon pourrait faire remonter certains de mes souvenirs à la surface. En utilisant Google Maps, il sera sans doute possible de déterminer une position approximative...

— Pourquoi pas ! s'enthousiasma Lilith. Sans compter que Gordon devrait être capable de retrouver les traces olfactives d'un passage régulier d'humains ou de véhicules. Toi aussi, d'ailleurs, avec ta magie.

Christobald sembla déstabilisé. Gordon dissimula son amusement. Le nécromancien n'appréciait visiblement pas d'être mené par le bout du nez par cette jeune demoiselle qui refusait de rester à la place qu'il tentait de lui imposer. Il ne put résister à l'envie de jeter une pincée de sel sur son ego malmené.

— Je ne te sens pas très motivé...

Il écopa d'un regard meurtrier en retour.

— Peut-être que vous n'y avez pas eu accès, déclara Christobald en détachant ses mots, mais il existe de nombreux rapports traitant de la recherche de ces fameux bunkers. Pour information ou rappel, nous avons régulièrement envoyé des traqueurs. Soixante-huit au total ces dix dernières années. La moitié n'a rien trouvé, l'autre n'est jamais rentrée. Tous étaient expérimentés et loin d'être inoffensifs. Vous imaginez vraiment que nous pouvons faire mieux qu'eux ? Laissez-moi vous rappeler les points essentiels de notre groupe : un vampire caractériel, un succube que beaucoup souhaiteraient voir disparaître et une exogène à peine capable de se retenir de trucider ceux qu'elle touche.

Gordon croisa les bras d'un geste nonchalant.

— Tu t'es oublié...

— Certes. Plus un nécromancien expérimenté dont personne ne veut écouter la sage voix. Erreur réparée.

— Tu as mieux à proposer peut-être ?

— Pas encore, admit-il. Mais nous devrions prendre le temps de réfléchir davantage avant d'agir sur un coup de tête.

— Et laisser à ces hommes l'occasion de retrouver Kathy ?

— La meilleure défense à l'attaque, ajouta Lilith.

— Pour ceux de ton type sans doute, contra Christobald. Pour les miens, la réflexion prime sur l'action. Sans compter que ce serait risquer de leur offrir Kathy sur un plateau d'argent. Tu sembles l'oublier, mais tu as été engagé pour la protéger, Gordon. Tu connais pourtant le code.

Cette menace à peine voilée déstabilisa un instant le vampire. Foutre Dieu ! Ce rabat-joie avait raison ! S'il dérogeait aux ordres...

— Vu sous cet angle... commença-t-il.

Kathy s'avança au milieu d'eux, les poings sur les hanches :

— Pourriez-vous pour une fois prendre en compte ce que moi je veux ? Vous me considérez encore comme une gamine sans défense. Je vous rappelle tout de même que le seul d'entre vous qui pourrait survivre à ma colère, c'est Gordon.

Elle planta son regard dans celui de Christobald :

— Chaque minute que nous perdons à discuter, ils l'emploient à préparer un plan d'action. Ils vont revenir, mieux armés, et je ne veux plus détaler comme un lapin devant eux.

Le nécromancien la toisa comme si elle faisait un caprice.

— Admettons que nous suivions ton idée et que nous trouvions l'entrée de ce fameux bunker sans nous faire repérer. Quelle est la suite du plan ?

Gordon observait avec attention Kathy, que le ton moqueur de Christobald avait aiguillonnée. Dressée sur ses ergots, les cheveux en bataille, elle évoquait un coq de combat prêt à en découdre. Lilith aussi guettait sa réaction.

— Je ne connais pas toutes vos capacités, admit-elle. Mais je suis certaine qu'à vous trois, vous trouverez un moyen de nous faire entrer sans attirer l'attention. Dans ce bunker, nous devrions découvrir pourquoi ils cherchent à créer des chimères.

Gordon devina la suite de ses pensées « et ce qu'ils me veulent ».

— Donc ton plan repose sur des suppositions ? répliqua le nécromancien en haussant les sourcils.

— Ce ne serait pas la première fois que nous partirions en mission sans l'embryon d'un plan, rappela Lilith. Tu te souviens notre effraction dans les sous-sols du Vatican, Gordon ?

Le vampire sourit : cet hiver-là, ils avaient réussi l'impossible. Mais ils formaient à l'époque un parfait duo : deux exogènes millénaires et surentraînés, qui se connaissaient sur le bout des doigts... et de la langue. Une pointe de nostalgie l'étreignit, qu'elle capta aussitôt, comme tout succube qui se respecte. Elle haussa un sourcil, qu'elle accompagna d'une oeillade provocante. Un frisson le parcourut. Ventre Saint-Gris ! Elle ne perdait rien pour attendre.

Satisfaite de son petit effet, elle insista :

— Cela ne coûte pas grand-chose de se rendre sur place pour tenter de trouver l'entrée. Si nous n'y parvenons pas, nous aurons au moins essayé .

— Quant à ma sécurité, intervint Kathy, il me semble que la donne a changé depuis le début de ta mission, Gordon. Si j'ai bien compris, tu devais me protéger sans que je m'en rende compte. On peut dire que c'est fichu. Tes ordres ne sont-ils pas du coup caducs ?

— En jouant fortement sur les mots... concéda-t-il.

— Ajoutons à cela vos soupçons quant à la présence d'un traître au sommet de la pyramide, poursuivit-elle. Donc à situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle.

— Je suis d'accord avec elle, déclara Lilith.

— Je m'y oppose, déclara Christobald.

Selon la Loi de la Légion, la décision appartenait à Gordon. Il n'hésita pas un instant :

— Il paraît que Grimentz est très agréable en cette saison.