Chapitre 6

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Gordon suçotait distraitement le tuyau d'une poche de sang presque vide quand on frappa à la porte. Il abandonna sans regret son repas à l'arrière-goût de plastique pour rejoindre le vestibule. Le lourd parfum fleuri qui filtrait à travers le battant lui fit lever les yeux au ciel. Parmi tous les exogènes de haut rang, ils l'avaient envoyée, elle. Par acquit de conscience, il colla son oeil au judas. Comme il en aurait mis ses canines à arracher, son regard tomba sur deux seins plus que généreux dévoilés par un décolleté prononcé. La garce s'était placée à la distance idéale pour mettre ses charmes en valeur. Gordon remonta ensuite le long d'un cou gracile jusqu'à atteindre une bouche pulpeuse aux lèvres rosées entrouvertes. Il continua son ascension le long d'un nez fin et droit, rencontra deux yeux bleu-violet. Se garda bien d'y plonger trop longtemps. Se focalisa sur la forme de cœur du visage entouré d'une crinière de cheveux ondulés d'un roux flamboyant. Même s'il s'y était préparé, la beauté de la jeune femme lui coupa le souffle.

Pistre douille ! Elle lui faisait toujours autant d'effet !

La nouvelle venue ne bougeait pas d'un cil, mais la lueur d'amusement qui dansait au fond de ses prunelles valait tous les discours du monde. Elle savait qu'il la scrutait sous toutes les coutures par l'œilleton et savourait sans réserve le plaisir de déstabiliser un ancien vampire.

— Gordy chéri, ouvre cette porte, susurra-t-elle d'une voix onctueuse comme le miel qui déclencha un élan de chaleur dans les reins du vampire.

Il aurait adoré lui arracher les cordes vocales, mais cela ne l'aiderait pas à se débarrasser de Kathy. Retenant un juron, il déverrouilla les trois serrures de sécurité. Les runes de garde, elles, resteraient actives. Il ouvrit le battant, s'écarta sans un mot. Si elle lui redonnait du « Gordy chéri », et malgré sa patience ancestrale, il l'enfermerait pour très longtemps dans la vierge de fer qui occupait encore un coin de son ancienne salle de torture.

En entrant dans l'appartement, la beauté rousse lui décocha un sourire capable de faire exploser un cœur humain. Un arc électrique parcourut l'aine de Gordon. Il lutta pour garder le contrôle de son traître de corps. Un homme long et mince auquel il n'avait pas prêté attention emboîta le pas de la jeune femme. Avec sa chemise entrouverte, son pantalon à pinces et ses cheveux trop longs coiffés en arrière, on aurait dit un jeune premier mâtiné de poète romantique. Jusqu'à ce qu'on croise son regard. Ses yeux luisaient d'une intelligence aussi froide que redoutable. La pointe bleu azur d'un tatouage remontait dans son cou. Ses mains aux doigts déliés annonçaient un pianiste... ou un maître en talents plus obscurs. Il répandait des parfums d'herbes et d'encens. D'autres effluves, plus subtils, se cachaient derrière. Gordon laissa passer l'air dans son organe de Jacobson. Cendre, sang, sel. Il plissa le nez. Ce type d'exogènes lui répugnait. Mais à l'évidence, il n'avait pas son mot à dire.

Il referma la porte derrière eux. Les verrous cliquetèrent dans un silence tendu que la jeune femme brisa d'un chuchotement rauque :

— Bonsoir, Gordon.

— Tu peux parler normalement, Lil', personne ne nous espionne, râla-t-il.

— Toujours aussi aimable, mon chou.

Vertudieux ! La charogne lui courait sur la panse sans qu'il sache comment l'en faire choir. Le jeune premier intervint :

— Je crois que tu l'agaces, Lilith.

Sa voix cadrait parfaitement avec son apparence : sentencieuse et un peu traînante. Gordon se sentit l'âme d'un chat caressé à rebrousse-poil. À eux deux, ils allaient réussir à déclencher une frénésie meurtrière.

— Gordon a toujours eu de la peine à supporter les taquineries, soupira la jeune femme de sa voix normale, un contralto sensuel.

La peau du vampire vibra en réponse. Son frisson n'échappa pas à ses interlocuteurs. Il se racla la gorge avant de s'adresser au jeune premier :

Exogènes - Le sang de la lignéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant