Chapitre 26

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Elle courut longtemps.

Sous ses pas fatigués, le paysage défilait et la neige, si blanche, apaisait sa colère. L'air froid qui gonflait ses poumons lui faisait atrocement mal. Son corps lui hurlait de s'arrêter, mais elle en était incapable.

Eida savait qu'elle ne devait pas cesser sa course, pas maintenant. Elle devait continuer à fendre le vent, atteindre les sommets d'argent du monde, pour toucher le ciel.

Épuisée, la jeune fille sentit ses jambes s'immobiliser, sans vraiment comprendre. Seule au milieu de ce désert blanc, le souffle court et le cœur battant, elle écouta le silence. Son chant, si pure, l'étourdissait.

Recroquevillée dans un coin de sa tête, Eida revit le visage défait de son père et son regard désolé. Il ne reviendrait pas...

Eida se sentit sombrer au fond d'elle-même. Elle essaya de penser à autre chose, de tout oublier et elle entendit, presque surprise, la voix de Jenna, s'écrier : « Reste là. Je ne veux pas te perdre. ». Elle le revit alors, si grand au milieu de la foule à Appolia, sa large main sur son bras.

Elle serra les dents. Elle ne voulait pas de ce souvenir, mais à chaque fois qu'elle chasser ces images fanées, elle revoyait son père qui posait le sceau devant la boutique.

Il avait gardé sa veste de cuir.

Eida ferma les yeux.

Tu vois la Grande Ourse, Eida ? Tu prends la distance entre les deux dernières étoiles et tu comptes cinq fois cet écart en partant de la pointe de la constellation. L'étoile à laquelle tu arrives, c'est l'étoile polaire. Juste en face, c'est la constellation en W. Tu la vois ? C'est Cassiopée, le papillon poupe. »

Des larmes dévalèrent ses joues. Elle l'aimait encore. Elle avait passé tant de temps avec lui, allongée dans l'herbe, la tête plongée dans les étoiles. Elle l'aimerai toujours...

Eida se mit à crier. Sa voix cassée, étouffée par la peur qui lui nouait la gorge, elle l'appela. Elle avait besoin de lui. Elle avait besoin de ses bras, de ses sourire, de son amour. Ses pleurs étaient une source de désespoir intarissable. Ses poumons glacés n'avaient plus la force de se remplirent mais elle continua à hurler.

Il fallait qu'il l'entende. Il fallait qu'il vienne la chercher. Elle avait encore tant de chose à lui dire.

Sa gorge la brûlait, mais rien ne la faisait plus souffrir de cette solitude, que cette sensation d'abandon qui s'immisçait par tous les pores de sa peau.

Elle avait l'air d'une enfant perdue. Les bras ballants, le cœur pendu au-dessus du vide, la tête levée vers le ciel, elle appelait son père ; celui qui lui avait offert la vie, cette vie qui lui faisait si mal, cette vie qu'elle aimait pourtant plus que tout. Elle était une enfant perdue.

Eida n'avait plus aucune notion du temps et se moquait bien de cet être, si mesquin, qui les obligeaient à partir trop tôt, à grandir trop vite, à mourir seul. Et, alors que le ciel prenait des teintes plus sombres, la jeune fille sentit ses jambes faiblir. Ses larmes avaient tracé des sillons rouges sur sa peau, piquée par le froid. Sa voix s'éteignit, emportée par le chant de l'hiver.

Il ne l'avait pas entendu.

Eida se sentit vaciller et basculer lentement en arrière. Il ne resta plus que le silence qui lui saisit la main pour l'entraîner dans le néant, là où se perdre les enfants sans avenir.

La terre l'attirait contre son cœur glacé, quand deux bras la rattrapèrent avec douceur. Surprise, elle resta là, les yeux grands ouvert sur l'étendue blanche qui lui faisait face, retenue par la seule chose qui lui restait au monde.

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⏰ Last updated: Jun 24, 2020 ⏰

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Le Monde Flottant [EN PAUSE]Where stories live. Discover now