Chapitre 19

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Ils se réveillèrent bien après l'aube ; Eida, était épuisée par sa nuit blanche, et Jenna, torturé par les douleurs que provoque le manque de magie. Pourtant, l'un comme l'autre firent comme si de rien n'était.

Ils prirent un petit déjeuné rapide à l'auberge. Le jeune homme en profita pour s'assurer qu'ils prendraient le meilleur chemin pour aller à Toch. Puis, emplis d'espoirs, ils s'élancèrent sur les routes.

Ils retraversèrent la ville et s'engagèrent sur les chemins rocailleux que l'aubergiste leur avait conseillé. Ils marchèrent trois jours sur des sentiers étroits, parfois impraticables. La route principale se situait à l'opposé de Teich, il fallait donc plus d'une semaine à pieds pour la rejoindre et les premières neiges arrivant à grand pas.

Ils dormirent à la belle étoile, malgré le froid et l'inconfort. Grâce à ses pouvoirs, Jenna allumait de grands feux, qu'il ranimait plusieurs fois par nuit, incapable de fermer l'œil.

Plus ils avançaient, plus l'hiver empreignait l'atmosphère. Le vent mordait violemment les peaux glacées et le sol était constamment humide. C'est lors de leur dernière journée de marche que la neige fit son apparition. Minuscule, les flocons valsaient doucement dans les bourrasques gelées, fondant en touchant le sol.

Ce soir-là, il eut un violent orage et les trois voyageurs eurent la chance de trouver une auberge sur le chemin, alors qu'ils venaient de subir quelques heures sous la pluie. Après avoir avaler un bol de soupe brûlante, ils étaient montés se coucher, harassés.

Glissés sous les couvertures, ils écoutèrent le ciel pleurer. Eida n'aimait pas l'orage. La pluie qui se déversait en continue sur les tuiles, les hurlements des nuages noires et les lumières enflammées qui tombaient sur les campagnes lui faisaient peur.

La tête enfoncée dans l'oreiller pour ne pas entendre ces cris de fureur, elle fut en proie à de mauvais souvenirs. Plongé entre les souvenirs et les rêves, elle vit sa mère, un grand sourire aux lèvres, poser une main sur sa tête. Elle portait sa robe d'hiver, d'un bleu pâle, ainsi qu'un grand manteau noir. Elle tenait dans son autre main, une large mallette blanche. Eida la regardait, intriguée, inquiète. Dehors la tempête faisait rage et sa mère sortait.

Elle ne souvenait pas vraiment de ce qui s'était passé ce jour-là, elle savait seulement qu'elle ne voulait pas qu'elle s'en aille. Elle avait pleuré, dans les bras de son père qui tentait, en vain, de la consoler. Elle entendait encore sa mère lui chuchoter à l'oreille : « Je reviens vite ».

Elle n'était jamais revenue.

Alors, en la revoyant ouvrir la porte, cette immuable douceur dans les yeux, Eida voulait lui crier de rester, de ne pas la laisser seule. Elle ne devait pas sortir, pas maintenant. Elle devait encore la bercer dans ses bras, lui offrir cet amour sans limite dont elle avait tant besoin.

Émergeant brusquement du sommeil, Eida se redressa et s'assit entre ses couvertures. Un sentiment de culpabilité la saisi à la gorge.

Elle aurait dû la retenir. Elle aurait dû lui dire qu'elle l'aimait, une dernière fois.

Le tonnerre la fit sursauter, elle poussa un cri. Pourquoi fallait-il qu'il revienne, cet orage qui lui avait tout pris ? Pourquoi devait-il s'en prendre à elle, inlassablement ? Des larmes terrifiées roulèrent sur ses joues, s'immisçant dans le coin de ses lèvres. Le goût acre du chagrin, mélangé à la douleur des souvenirs, lui donna la nausée. Elle se sentit écrasée, comme aspiré par cette souffrance qui lui tordait l'âme.

D'une toute petite voix, elle appela Jenna, se raccrocha de toutes ses forces à la réalité. Le jeune homme ne dormait pas. Il se retourna, observant sa silhouette tremblante dans l'obscurité.

Le Monde Flottant [EN PAUSE]Where stories live. Discover now