Chapitre 11

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Eida était heureuse. Sans même savoir pourquoi, elle sentait qu'une digue s'était rompu en elle, libérant toute la joie qu'elle endiguait.

Cela faisait plus de trois heures qu'ils marchaient. Elle avait mal aux côtes et aux genoux, mais elle ne se plaignait pas. Elle avait le sentiment d'avoir enfin trouvé ce qu'elle cherchait. Et alors que ses pieds foulaient pour la première fois les chemins de terres qui l'éloignait de son village natal, elle pensait plus que jamais à son père.

J'arrive, papa ! se disait-elle alors que le soleil couvait de ses rayons automnal les champs immenses qui s'étendaient à perte de vue.

Eida ne savait pas pourquoi Jenna avait subitement changer d'avis. Lui qui avait refusé avec froideur toutes ses demandes, voilà qu'il l'emmenait avec elle sans lui laisser le choix. La jeune fille eut un sourire discret.

Il était étrange, Jenna.

Ses yeux remontèrent lentement le long de ses larges épaules. Elle aimait bien regarder sa silhouette, découpée dans la lumière du jour. En restant derrière lui, elle avait l'impression d'être en sécurité. Ce grand corps un peu trop maladroit était son bouclier, du moins, elle se plaisait à le penser.

Avec un soupir discret, elle reporta son attention sur le paysage. C'était la première fois qu'elle sortait d'Ione. Son père ne l'emmenait jamais au-delà de la Lande, il n'en avait pas le temps, et puis, il se faisait beaucoup de soucis pour elle.

Il la disait fragile, comme sa mère, mais Eida savait que ce n'était qu'un moyen de la garder prisonnière de sa haute colline. Elle était capable de vivre seule, elle l'avait prouvée maintes fois, alors pourquoi ne serait-elle pas assez forte pour quitter le village, voyager et retrouver son père ?

Bien sûr, il y avait Jenna. Avec lui, elle savait qu'elle ne se perdrait pas. Et puis, il y avait aussi Timothée. Perché sur le sac à dos du jeune homme, il dormait paisiblement. Quelques fois, il entrouvrait un œil, comme pour vérifier si elle suivait toujours et se rendormait aussitôt.

Ils n'avaient pas eu besoin de beaucoup de temps pour préparer leur départ. Eida avait retrouvé le vieux sac de cuir qu'elle avait fabriqué à son père pour ses voyages, et elle y avait fourrer un maximum de nourriture. Elle avait remplit une autre sacoche de vêtements et de matériel de toilette en y ajoutant sa petite trousse de soin. Et c'était tout.

Elle aurait aimé emmener avec elle des livres, ses préférer bien sûr, mais aussi ceux qu'elle n'avait pas encore lus. Elle avait pensé à prendre plus de vêtement, mais elle s'était résigner à n'emporter que les plus utiles. Et puis, il y avait tous les bibelots, les objets inutiles mais qui avait à ses yeux, une grande valeur : des souvenirs que lui ramenait son père de ses voyages, les tableaux peint par sa mère, les plumes et crayons qui libéraient son imagination, les poupées de son enfance, des vases qu'elle avait décorés, de nombreux bijoux qu'elle ne mettait jamais, des paires de chaussures trop inconfortables pour le voyage, les meubles à valeurs sentimentales... Il y avait tant de chose qu'elle laissait derrière elle.

Elle reviendrait, elle se l'était promis.

Elle reviendrait avec son père et elle retrouverait toutes ces choses qui faisaient d'elle celle qu'elle était.

Pourtant, Eida avait le sentiment qu'une nouvelle vie commençait, loin de cette maison, loin de ce passé monotone et fade. Elle avait pris le soin de sortir toutes les plantes dehors. Elle avait replanté les plus grandes et celles qu'elle préférait derrière sa demeure, dans la Lande. Là-bas, elles pourraient elles aussi, prendre un nouveau départ.

Eida n'avait pas eu le temps d'aller dire au revoir à Tena et aux lavandières de la Fleur Bleue. Sans doute, la chercheraient-elles. Elle avait donc laissé un mot à sa patronne, qu'elle avait placé contre la fenêtre, pour qu'on puisse le voir de l'extérieur.

Le Monde Flottant [EN PAUSE]Where stories live. Discover now