14 - Chaise Musicale

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Jean-Louis se dépêchait et scrutait les environs en tournant sa tête dans tous les sens. Les bruits et les cris l'avaient réveillé, quelque temps plus tôt. Mais il n'aurait su dire depuis combien de temps précisément. D'ailleurs, Jean-Louis ne savait pas grand-chose, et ça lui importait peu. Il ne savait même pas qu'il s'appelait comme ça. Et puis, il faut le dire, ce n'était pas vraiment son prénom; plutôt un surnom. C'était des élèves de la cité scolaire qui le lui avaient attribué. Mais ça non plus, il ne le savait pas. Il passait ses journées à courir, grimper et dormir, ou même à manger. Ce qu'il faisait en gardant ses petites mimiques et sa gestuelle rapide et saccadée, qui faisaient tant rire les écoliers. Il ne prêtait pas souvent attention aux gens qui peuplaient les environs, même si cela lui arrivait, de temps à autre, de les regarder de haut. Perché sur une branche d'un vieux chêne, qui touchait presque un mur porteur d'un des bâtiments, Jean-Louis vit un homme ouvrir une fenêtre et faire de grands gestes vers lui. A nouveau apeuré, et alors qu'il ne dérangeait personne, il fila à l'autre bout de l'école. Guillery poussa la vitre avec force, les gonds étant rouillés depuis longtemps, visiblement. Il remarqua un petit écureuil le fixer de ses petits yeux tout noirs. La queue ébouriffée de l'animal frémit brusquement, il poussa un petit cri et déguerpit à vive allure.

— Va-t'en, sale bête ! vociféra le brigand.

Guillery sortit la tête en s'appuyant contre l'encadrement de la fenêtre. Il avait vraiment besoin de respirer un peu mieux, car l'ambiance pesante et l'atmosphère lourde dans le bâtiment scolaire lui coupait le souffle. Un temps orageux allait bientôt se déclarer, le vaurien aurait pu le parier. Il inspira longuement l'air de l'extérieur, sentit l'odeur boisée émanant des pins et ferma les yeux quelques secondes. Il entendit alors des bruits sourds au loin et se redressa. Quand il se retourna, il vit son acolyte, la femme en cuir, rentrer à son tour dans la pièce, suivie de deux miliciens. Ceux-ci portaient toujours leur masque de bois respectif et poussèrent chacun un élève à l'intérieur de la classe. C'était une salle de cours qui ne servait quasiment jamais; les tables et les chaises étaient toujours repoussées et entassées contre les murs.

— Je suppose que les troupes ennemies s'amassent alentours, dit Guillery en reprenant son aplomb. J'ai cru déceler des sons indicateurs.

— Des troupes ennemies, répéta la femme en ricanant. On n'est plus au Moyen- ge, grand-père !

Le brigand, visiblement vexé par l'audace et la moquerie de sa comparse, s'éloigna vers le fond de la pièce, les bras croisés.

— Si j'étais vraiment ton aïeul, cela ferait longtemps que je t'aurais corrigé avec fermeté, marmonna-t-il.

— Bref, rétorqua la femme. Ça — elle pointa un mince index vers l'une des deux élèves—, c'est Ellen Swan, la fille qui semblait la plus courageuse du groupe.

— Oui, et l'autre c'est Nicolas Houle, l'un des deux garçons qui se sont querellés.

— Bon alors, je m'occupe de ces deux-là, Guillery. Essayez d'en apprendre plus sur les autres.

Ellen écarquilla les yeux quand à son tour elle entendit le nom de l'homme. C'était celui du voleur qui était mort depuis plus de quatre cent ans, elle en connaissait l'histoire. Un petit frisson parcourut son dos et elle se dit qu'il se passait vraiment des choses étranges, en plus d'être cruelles. Elle et son camarade se tenaient à quelques mètres l'un de l'autre. Ils avaient pu se rhabiller et se dévisageaient silencieusement. Elle, ne voulant rien laisser paraître de sa terreur et ayant décidé de ne faire confiance à personne. Lui, dont la lèvre saignait légèrement, fronçant les sourcils, la respiration haletante. L'élève brillante de la classe de Terminale réussissait d'habitude à déceler ce que les gens avaient en tête. Elle avait bien saisi ce qu'avait expliqué la femme quelques dizaines de minutes plus tôt, mais les raisons de leurs actes lui semblaient toujours floues. De même, elle se demandait ce qu'avait pu pousser des amis comme Nicolas et Kevin à se battre ainsi. Elle s'interrogeait sur ce qu'avait pu leur dire le fameux Guillery pour les mettre dans un état pareil. Sûrement la même chose que ce qu'elle avait entendu de la bouche de celle habillée en cuir, pensa-t-elle. Mais en plus machiste, peut-être, voire en plus compétitif. Il les avait probablement conduits à montrer leur force pour se démarquer, cherchant ce fameux "élu". Mais ça dépassait l'entendement, selon elle. Car, même si elle ne connaissait que peu ces jeunes hommes, elle savait qu'ils étaient intelligents. Et puis, de toute façon, tout ce qu'il se passait était fou. Si un homme d'un autre temps, tombé dans l'oubli au fil des siècles, avait pu revenir en chair et en os, tout semblait possible. Alors que l'esprit d'Ellen se perdait dans ses suppositions sur la crédulité et la naïveté de ses camarades, Guillery la heurta en voulant sortir de la pièce. Elle sursauta et se rendit compte que la femme lui parlait.

KENTAN, Tome 1 : Demain est une autre NuitWhere stories live. Discover now