19 - Portée de Légendes

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Quand Gwen se réveilla, dans les bois, il pensa à deux choses. D'abord, et contre toute attente, il n'était pas mort. Il hésita tout de même quelques secondes, se demandant si son âme ne s'était pas rendue dans un au-delà à l'aspect forestier. S'il existait un paradis individuel, le sien serait sûrement une luxuriante forêt. Il adorait la nature ; et la faune et la flore de Brocéliande par-dessus tout. Très vite cependant, il sentit une légère douleur dans ses muscles dorsaux, à cause de la pierre sur laquelle il était couché. Il se retrouvait à des kilomètres du lycée, sans savoir par où aller pour rentrer chez lui ou trouver la moindre personne qui pourrait l'aider. Il déboutonna sa chemise, puis enleva son t-shirt et scruta sa peau, en tentant de trouver l'impact de la balle tirée par Maeve. Mais il ne vit rien, aucun trou, pas de sang, ni d'éraflure. Les yeux humides, les sourcils froncés, il scrutait sa peau consciencieusement, alors que mille questions lui traversaient l'esprit. Puis, il songea à Sacha, son meilleur ami depuis tout petit. Il espérait que tous ses camarades allaient bien et qu'aucun n'avait été blessé, voire tué. Mais Sacha comptait plus que tout. Il se rappela les derniers jours durant lesquels le jeune blond était particulièrement affecté et triste. Gwen se dit qu'il aurait dû être plus attentif et réconfortant avec lui. Il remit son haut et commença une longue marche, lui aussi. Au bout de quelques minutes, il se rendit compte que, malgré son étonnante forme physique après s'être fait tirer dessus, son réveil brutal l'avait quelque peu étourdi. Il trouva avec satisfaction une grande et fine branche qui lui servit de bâton de randonnée. Au moment où Sacha Gautier était mis à l'abri dans la salle des professeurs par Christ, Gwen cherchait un endroit pour passer la nuit. Il n'avait croisé personne, à part quelques oiseaux qui n'étaient pas encore partis hiberner et des biches au loin. Tout comme elle l'avait fait pour Elsa et Camille, la forêt était maline et ne semblait pas vouloir le laisser sortir, préférant le conserver dans son étreinte sylvestre. Il trouva finalement une toute petite maison presque en ruine, perdue au milieu d'une clairière elle-même entourée de hauts sapins et de chênes desquels tombaient des glands comme une pluie de fruits à coque. Les murs étaient constitués de grosses pierres peu taillées et recouverts d'un toit de fortune en taule, soutenu par deux poutres rongées. Mais c'était la seule solution pour rester un minimum au sec jusqu'au matin. Il pénétra dans l'unique pièce en poussant la porte rouillée.

L'intérieur était si sombre, sans aucune fenêtre, qu'il dut tâtonner quelques instants dans la poussière et la crasse. Sa main se posa sur une boîte d'allumettes et il marcha sur une longue bougie. Avec surprise, il réussit à allumer la mèche et examina cet étrange foyer. Une table solitaire était disposée au centre, sur laquelle s'empilaient quelques vieux objets. Un bidon d'huile de moteur et divers récipients jaunis étaient probablement là depuis plus de dix ans. Un vieux téléphone à cadran et un cheval à bascule, dont le bois était partiellement rongé, trônaient au fond de la pièce. Sur sa gauche, une cheminée laissait se faufiler un vent au sifflement menaçant et dégorgeait d'une suie à l'odeur prenante. Il se retourna et ce qu'il vit le fit tellement sursauter qu'il crut que son cœur allait s'arrêter. Le mur à droite de la porte était rempli de cadres effrayants. Gwen s'approcha avec une grande inquiétude et regarda chaque portrait, l'un après l'autre ; il en compta une douzaine. Tous représentaient des personnes d'un autre âge, très pâles et aux regards hostiles. Chacun des visages était peint avec une grande précision et comme s'il était plaqué contre la surface du petit tableau, les mains ouvertes de chaque côté. Il avait beau bouger et s'éloigner d'eux, il avait toujours l'impression que leurs yeux le suivaient. Il avait appris ce procédé en cours, au collège, mais se demandait comment de telles œuvres, si réalistes en plus, s'étaient retrouvées dans un squat perdu au milieu de la forêt. Gwen décida de se détourner des portraits et de s'allonger à côté de la table. Le sol était particulièrement sale et il lui fallut se concentrer pour tenter de ne pas y penser. Il respirait péniblement, essoufflé de sa marche dans la forêt et essayant de ne pas inspirer trop fortement pour ne pas gober d'amas de poussières. Étrangement, la faim ne se faisait pas sentir. Étonnamment, il ne s'était jamais senti aussi rassasié que depuis qu'il s'était relevé d'entre les morts. Cependant, il contenait une panique en lui en se remémorant les derniers évènements ; il sentit ses yeux s'embuer et les ferma. Il était exténué et ne tarda pas à sombrer, à la limite entre ses pensées, ses souvenirs visuels et des songes cauchemardesques. Il revoyait Guillery forcer les garçons de sa classe à se déshabiller, Monsieur Arche basculer en arrière après le coup de feu, Maeve pleurer l'arme à la main, Camille et Elsa devant le Rocher des Faux-Amants.

KENTAN, Tome 1 : Demain est une autre NuitWhere stories live. Discover now