12 - Armures et Divisions

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— Monseigneur !

Un jeune religieux du petit monastère de Langoëlan, en plein cœur de la Bretagne, accourait au chevet du roi Salomon.

— Monseigneur, dit-il en reprenant son souffle. Ils arrivent.

— Je ne puis me cacher plus longtemps. Je dois désormais expier mes fautes.

— Je ne suis pas habilité à recevoir les confessions, Monseigneur. Et notre bon Mahueg est toujours reclus au Mont-Tombe.

— Nous ne pouvons attendre l'abbé plus longuement; vous ferez l'affaire, mon garçon. Vous écouterez mon témoignage et prierez pour mon absolution. Je me dois battre ma coulpe.

Le vieux roi appuya un coude contre son lit peu confortable et se hissa péniblement pour relever son dos fatigué. Désormais assis, il lança un regard au garçon agenouillé à ses côtés, qui s'était muni d'une tablette. L'apprentissage des lettres lui était connu et il deviendrait bientôt un érudit. Il n'était pas rassuré à l'idée de se retrouver seul avec le vieillard.

— Mon cousin Erispoë, roi avant moi, convoitait les bonnes grâces du roi des Francs. Cette trahison envers son peuple et son royaume nous aurait coûté des terres précieuses, plus à l'est.

L'homme avala sa salive avec difficulté, marqua une pause et reprit.

— Je dois être un homme de sincérité, avant ma mort, alors je ne puis rien dissimuler aux anges. Je redoutais pour mon domaine et la colère me rendait aveugle. Se soumettre à la Neustrie, le royaume des Francs, alors même que les vikings gangrenaient dès lors notre beau pays, relevait d'une infamie. Je conviai alors Erispoë à un somptueux banquet et prétextai ensuite un recueillement dans la chapelle pour nous retrouver seuls. Mes souvenirs reviennent à mes yeux ; je me vois à nouveau le frapper avec force. Je revois son sang sacré couler le long de l'autel en schiste.

Le garçon avait les yeux grands ouverts mais n'arrêtait pas sa rédaction. Ceux de Salomon étaient embués, alors qu'une rage contenue passait furtivement sur son visage, comme échos du passé.

— Il paraît évident que ce crime m'a construit et a déterminé la gloire de mon règne, mais par cette expiation, je recherche le pardon. Erispoë n'aurait aucunement sauvé la Bretagne des invasions, du mélange stupide des cultures, de l'apropriation, comme je l'ai fait si durement. Il n'aurait non plus dévoué son pouvoir au nom de Dieu en protégeant les institutions pieuses. Malgré cela, je réclame le rachat de mes atrocités. La mort est une amie et ne me terrifie nullement, j'ai longuement chevauché à ses côtés. Mais le sort de mon pays alourdit ma peine, j'en ai perdu l'espoir. Mon cher fils Guigon, capturé puis tué par les Francs, ma descendance est évanouie.

Le vieux roi poussa une longue complainte qui fit frissonner le jeune homme à son écoute. Ce dernier n'aurait su dire s'il s'agissait d'un gémissement à cause de douleurs, ou s'il provenait du désespoir d'un pauvre souverain sur sa fin.

— Et désormais, mon propre gendre qui s'en vient pour m'assassiner. Les traitres païens comme lui ne devraient pas gagner la couronne. Nous sommes chrétiens depuis le grand Riwal qui avait conduit notre peuple depuis la grande île jusqu'à la Domnonée armoricaine, notre belle terre. Ceux qui vouent leur vie à aimer des dieux à tête de cerf ou de sanglier sont des sauvages ! L'abbé pensait me rassurer en affirmant que Pascweten n'attenterait pas à ma vie, quelle naïveté ... Et quel cycle d'ironie. Moi, le roi assassin, tué pour sa couronne.

Des fracas retentirent à l'extérieur du monastère. Le garçon sursauta violemment et lança un regard terrifié au roi.

— Quittez ce lieu, pauvre petit. Vous n'avez rien à payer de votre jeune vie, aujourd'hui.

KENTAN, Tome 1 : Demain est une autre NuitWhere stories live. Discover now