016 | Marées hautes

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Bien que tous avaient tant de choses à dire, les vulnérabilités restaient néanmoins cachées. Les masques n'étaient que la simple conséquence d'une réticence à affronter la détresse des autres. Car, en réalité, il était beaucoup plus facile d'aimer quelqu'un d'heureux.

On était donc, collectivement, les prisonniers des apparences.

Est-ce que tout va bien?

Félix leva son regard dubitatif vers Charlie. Il ferma la porte en métal de sa case avec appréhension.

Oui, pourquoi?

La lèvre inférieure entre les dents, Charlie se mit à jouer avec l'ourlet de son manteau. Toute la soirée, elle avait hésité à aborder le sujet. Ce n'est que maintenant, seule avec Félix dans la salle des employés, qu'elle trouva le courage d'affronter son malaise.

J'ai eu l'impression que tu étais... distant le soir de mon anniversaire.

La révélation ne perturba aucunement l'expression neutre sur le visage de Félix. Il se contenta de hausser ses épaules, geste qui déconcerta Charlie. Elle était habituée au caractère impulsif de son collègue. Cette fois, seulement, quelque chose d'étrange refroidissait son sang chaud.

Ton comportement a changé quand les garçons sont arrivés. Les connaissais-tu?

Non, mais je les ai reconnus de la soirée d'ouverture et je n'ai pas eu une bonne impression, commença-t-il d'une voix lourde et retenue qui dissimulait des insultes. Ils devaient toujours parler plus fort que les autres, raconter une histoire plus drôle ou recevoir plus d'attention.

Une déception naquit dans le ventre de Charlie. Son ami avait ses défauts, mais jamais elle ne l'avait vu faire preuve d'une telle fermeture d'esprit.

Elle ne pouvait pourtant pas lui en vouloir. Charlie avait elle-même fait l'erreur de forger sa perception de William sur ses premières impressions. Peu importe l'évolution de son opinion, elle avait d'abord réduit le capitaine du Junior de Montréal à être un simple garçon prétentieux.

Elle avait eu ses raisons, peut-être que Félix avait les siennes.

Félix, commença prudemment Charlie. Tu as sensiblement la même énergie qu'eux.

Un rire étouffé résonna dans la gorge de son collègue.

C'est con, je sais, mais j'ai l'impression que j'ai travaillé pour arriver où je suis. Eux, cracha-t-il presque. Eux, ils ont tout eu, que ce soit l'argent, la famille ou le succès, alors qu'ils n'ont rien fait pour le mériter.

Il en parlait rarement, si ce n'était pas jamais, mais Charlie savait que Félix avait des relations conflictuelles avec sa famille. Très jeune, il s'était éloigné pour déménager en résidence étudiante à Montréal, prenant sur ses épaules de nombreuses responsabilités.

Derrière ses apparences et ses airs immatures, il avait un passé trouble.

Et quand je les ai vus aussi près du groupe, ça m'a frustré, continua-t-il. C'est puéril, mais ça me dérange qu'on leur donne l'attention qu'ils désirent.

Charlie ne rajouta rien, ne trouvant pas les mots justes. Qu'aurait-elle pu lui dire? Elle peinait elle-même à apaiser ses relations houleuses avec son passé, qui était-elle donc pour juger les réactions de Félix?

Ils quittèrent ensemble la salle des employés, saluant une dernière fois leurs collègues qui travaillaient jusqu'à la fermeture.

Je te raccompagne chez toi? proposa Félix, une fois à l'extérieur du restaurant.

DétourWhere stories live. Discover now