Chapitre 23

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Dans le souvenir finalement choisis par Léo, Alex et Octave lui rendaient visite dans sa cellule.

- Je suis votre fils adoptif, vieillard. Vous avez menti à Léona. Je suis son oncle sur le papier seulement, je ne suis pas de son sang. Je la connais et je sais qu'elle gardera notre enfant.

- C'est justement la raison de ma visite. Léona n'a pas survécu à l'accouchement, elle a fait une hémorragie interne. Ton fils a rendu son dernier souffle peu de temps après.

Léo se figea.

- Vous mentez.

- Alex pourra te le confirmer. Il est là pour effacer tes souvenirs et te donner une nouvelle identité.

- Allez en Enfer !

Le rugissement de Léo était perdu quelque part entre la haine et le désespoir.

- Comme tu voudras. Alex effacera quand même Léona de ta mémoire.

- Pourquoi m'avoir adopté si c'est pour me faire subir pareilles épreuves ?

- Je voyais en toi quelqu'un d'exceptionnel mais tu es devenu un monstre.

Ces derniers mots assenés avec cruauté achevèrent Léo qui se laissa aller au désespoir. Il n'eut pas le courage de repousser Alex lorsqu'il s'approcha et mit son index sur son front. En vérité, il n'effaça pas mon visage de l'esprit de Léo. Il le remplaça par celui d'une totale inconnue.

Mon cœur se serra. Je ne savais plus moi-même qui j'étais vraiment. Je me mettais à détester l'homme qui partageait ma vie depuis huit ans et à aimer l'homme qui m'avait arrachée mes pouvoirs et qui avait connu tant de malheurs.

Le souvenir se dissipa doucement.

- Tu as tellement souffert...

- Qu'importe, je suis heureux maintenant.

Il colla son front contre le mien et déposa un baiser sur ma joue.

Mon autre moi fit irruption dans la cuisine à ce moment-là, les bras chargés de sacs de courses... qu'elle laissa tomber par terre en nous voyant. Nous ne l'avions pas entendu entrer.

- Qu'est-ce qui se passe ici ? Léo, qui c'est ce... clone ?

La colère la rendait livide.

- Je... je viens du passé, répondis-je, fascinée par la femme qui se tenait devant moi.

J'étais exactement la même qu'en 2022, excepté le petit ventre arrondi. Le temps n'avait, semblait-il, aucune emprise sur moi.

Elle me dévisagea également pendant une longue minute. L'éclat dans son regard m'indiqua qu'elle avait compris sans que je n'aie à ajouter quoi que ce soit.

- C'est Benjamin, n'est-ce pas ? Où est-il ?

- C'était un accident. C'est un peu long à expliquer, il vaut mieux que tu t'assoies.

Léo ramassa les sacs de courses et rangea les articles dans les placards et le réfrigérateur pendant que je racontai brièvement à la Léona du futur ce qui était arrivé en 2022, depuis l'arrivée de Benjamin jusqu'à notre bond accidentel en 2030.

- Apparemment, c'est aujourd'hui que mon fils, pardon, notre fils, va perdre le contrôle et massacrer tout le monde mais Benjamin a refusé de me dire pourquoi.

- Will se maîtrise parfaitement, jamais il ne pourrait faire de mal à qui que ce soit. J'ai confiance en lui.

- Nous sommes d'accord. D'ailleurs, où est-il ? Je peux le voir ?

- Il est allé chercher Benjamin et Lia, il ne devrait pas tar...

Une balle collée au milieu du front l'empêcha de terminer sa phrase.

- Léona, non ! cria Léo.

Je me mis à hurler lorsque son corps sans vie tomba de la chaise.

Affolé par nos cris, Benjamin se matérialisa devant nous. Ses lèvres remuèrent mais je ne compris pas un traitre mot de ce qu'il disait. Ma tête était parasitée par un nid d'abeilles.

Je suis morte.

Prise de nausée, mon estomac se souleva.

Comment cela avait-il pu se produire ? J'étais invincible, immortelle ! Pourquoi mon corps pâlissait-il comme si le sang avait cessé d'affluer dans mes veines ?

Léo prit Benjamin par le col, hors de lui. Il me sembla qu'il était sur le point de le frapper mais je ne pouvais intervenir. Des cinq sens que je possédais, il ne me restait que la vue. L'ouïe, l'odorat, le goût, le toucher, j'avais tout perdu en me voyant mourir.

Léo souleva l'adolescent, ses pieds ne touchaient plus terre. Je n'avais toujours pas retrouvé ni l'usage de la parole ni de mes jambes comme s'il n'y avait plus de liaison entre mon cerveau et mon corps.

Un couinement s'échappa de mes lèvres entrouvertes, presque un sanglot. Cela attira l'attention de Léo, qui reposa lentement Benjamin. Il s'avança vers moi en prononçant des paroles que j'imaginai apaisantes.

- Pourquoi tu pleures, Maman ?

La voix de Selina me fit sortir de ma torpeur. Pour que ma fille me pose une question, il fallait que je sois vivante, non ? J'existais donc encore.

Elle se tenait debout dans l'encadrement de la porte de la cuisine et portait une peluche Totoro presque aussi grande qu'elle. J'eus envie de m'agenouiller devant elle et la prendre dans mes bras.

Léo recula pour cacher le corps allongé sur le carrelage à la vue de sa fille.

- Benjamin ramène Selina dans sa chambre, tout de suite.

- Léo, je suis dé...

- Fais ce que je te dis !

Je fronçai les sourcils en constatant qu'il prenait le chemin des escaliers.

- Léo, pourquoi est-ce qu'il ne se téléporte pas ?

- Son pouvoir est en panne. Il ne peut plus se téléporter ni dans le temps ni dans l'espace.

- Ce qui signifie qu'il ne peut pas me sauver...

Il acquiesça.

- Il m'a dit que quelque chose clochait, que c'était différent la première fois. Tu n'es pas morte de cette façon.

Je m'agenouillai et me penchai au-dessus de mon propre corps, les larmes aux yeux.

- Mais je suis morte dans tous les cas... Comment ?

- L'instinct animal de Will a pris le dessus quand son amie Lia s'est blessée accidentellement au cours de la fête d'anniversaire de Ben. Tu as tenté de t'interposer entre lui et le reste de notre famille mais il t'a arraché le haut du crâne d'un coup de griffe.

Je serrai les poings devant mon envie irrépressible de le gifler.

- Comment peux-tu garder ton sang-froid en me racontant une horreur pareille ?

Je n'ajoutai rien. Son ton était froid mais son regard bouleversé parcourait le corps de sa femme, comme s'il s'attendait à ce qu'elle se réveille d'un instant à l'autre en dépit de la balle logée dans son front.

- Qu'allons-nous faire, Léo ? Quand Will doit-il rentrer ? J'ai une vie en 2022, je ne peux pas me permettre de mourir ici.

Il réfléchit et se pencha pour murmurer quelques mots à l'oreille de sa Léona avant d'embrasser ses lèvres bleuies. Puis, il posa sa main sur la mienne.

- Reste, Léona.

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