Heureuses Circonstances

CHAPITRE 1

CONRAD

2 juillet 2019

Noah parle depuis une dizaine de minutes de sa dernière nuit d'amour avec une inconnue et je l'écoute d'une oreille distraite, peu intéressé par ses propos. La journée est chaude en ce jour de juillet et je suis bien content que le restaurant où nous sommes attablés ait installé des brumisateurs sous les grands parasols. J'avale une grande gorgée de ma bière, mon regard dérive sur la place du Parlement qui s'étend à nos côtés. Une longue queue s'étale devant les glaciers et les terrasses qui la bordent sont bondées. Nombreux sont ceux qui cherchent un coin d'ombre pour s'abriter du soleil qui tape sur la ville. Des enfants courent et rient, attirant des regards tantôt souriant tantôt courroucé. Sur le rebord de la fontaine, un jeune homme est assis, semblant hermétique à la chaleur ambiante. Il regarde son téléphone de façon frénétique, comme si le fixer allait faire apparaitre ce qu'il souhaite. Ou ce qu'il redoute. Des mèches rousses s'échappent de sa casquette noire, ses yeux sont masqués derrières et je suis incapable d'en dire la couleur à cette distance.

- Eh mec, tu m'écoutes ?

Mon regard délaisse l'inconnu pour se reposer sur mon ami. Il a un sourcil arqué, sa question en suspend. Il attend une réponse. Il la connait pourtant déjà.

- Honnêtement ? Non. J'ai arrêté quand tu m'as raconté comment tu l'as sauté dans les toilettes de La Plage. Elle t'avait vraiment tapé dans l'œil ? Fallait prendre son numéro au lieu de la prendre elle. Maintenant, tu as très peu de chance de la revoir.

Un soupir lui échappe alors qu'il se laisse aller un peu plus sur sa chaise, sa bouteille toujours à la main.

- Je le sais bien mais qu'est-ce que tu veux ? On a dansé, on s'est chauffé et on en avait envie de baiser tous les deux.

- Mais tu aurais pu la ramener chez toi au lieu de faire ça vite fait bien fait dans des chiottes crades. Ça donne juste l'impression de tirer son coup sans suite possible. Tu t'attendais à quoi ?

- Je sais que c'est pas ton truc mais elle, elle a kiffé.

- Alors où est le problème ? Si vous vous recroisez, vous pourrez en profiter pour échanger autre chose que vos fluides.

- Merci de ta compassion, Conrad.

Je lève les yeux au ciel et ne peux réprimer un soupir, mon regard retournant détailler le jeune homme de la fontaine. Ses longues jambes sont étendues devant lui alors qu'il joue avec un caillou du bout de sa converse usée. Il semble attendre quelqu'un qui ne vient pas et ses épaules s'affaissent un peu plus à chaque seconde qui passe.

- Qu'est-ce que tu as repéré de si intéressant pour ne pas m'écouter ?

Une fois de plus, mes yeux se posent sur mon vis-à-vis.

- Tout est plus intéressant que tes parties de jambes en l'air, mec !

- C'est parce que t'es en manque ça. Viens en boite avec moi la prochaine fois et trouve un beau mec à baiser. Ça te fera du bien, tu verras !

- Dans tes boites, j'ai surtout une chance pour me prendre un coup si je drague la mauvaise personne.

- Tu ne veux quand même pas me trainer dans un bar gay ? Où je pourrais trouver une jolie fille dans ce cas ?

Un rire m'échappe, je suis incapable de me retenir quand il prend cette expression-là. Il ressemble à un personnage de cartoon, les yeux hors de leurs orbites.

- Ce n'est pas ce que j'ai dit. Seulement, draguer un mec dans une boite hétéro, c'est risqué. Je ne veux pas finir à l'hosto parce qu'il n'aura pas apprécié le compliment.