Angélique avait rencontré Ayden trois ans plus tôt, lorsque la tornade texane avait déboulé à New York City. Plus précisément, au moment où, prise dans un élan d'euphorie soudaine d'être enfin libre d'explorer la grosse pomme, la même tornade avait dégringolé les escaliers de l'université, et avait échoué aux pieds de la jeune fille, les quatre fers en l'air. Depuis ce jour, ils étaient devenus presque inséparables. Leurs caractères opposés et si complémentaires avaient forgé une amitié dont l'équilibre était parfaitement maîtrisé. Ainsi, quand Ayden passait son temps à essayer d'entraîner Angélique dans des bars et des boîtes branchées, cette dernière répliquait à grands coups de livres et de longs après-midi au musée. Et c'était bien, comme cela.

Le jeune homme s'installa sur le rebord de la fenêtre, près de son amie, et sortit une pomme bien verte de sa poche. A contrario d'Angie, il reprit en parlant presque à haute voix :

— Je t'ai cherchée partout, ce matin.

— Comment ça ?

— J'avais oublié que tu travaillais dans le temple des grands coincés maintenant.

Un deuxième sourire provocateur, une deuxième grimace affligeante. Ayden haussa un sourcil en direction d'Angie tout en croquant un morceau dans sa pomme. Elle poussa un profond soupir de lassitude en replaçant deux nouveaux ouvrages sur les étagères, puis répliqua dans un murmure :

— Il faut bien que je paie mon loyer.

— Il y a des moyens plus simples de se faire de l'argent. Mais comme j'ai promis à Marguerite d'être un gentil garçon, bien comme il faut avec toi, je ne dirai rien.

Elle esquissa un bref sourire et plongea dans les pages usées des Fleurs du Mal.

— Donc, tu m'as cherchée toute la matinée pour venir manger une pomme devant moi, alors que tu sais que c'est interdit et, du même coup, prétendre être un vilain garçon ?

Ayden descendit du rebord de la fenêtre et, sans crier gare, lança sa pomme à Angie. Cette dernière la rattrapa de justesse, manquant au passage de faire chuter le recueil de Baudelaire qui se retrouva maladroitement coincé entre son avant-bras et son sein. Elle leva les yeux au ciel et reposa délicatement l'ouvrage sur la pile de son chariot. Le jeune homme afficha alors un large sourire de satisfaction et ajusta son blouson en cuir en reprenant, avec un enthousiasme à peine dissimulé :

— Non, pas exactement. En fait, je voulais te demander quelque chose. Parce que tu es une fille. Du coup, tu pourras sûrement m'aider.

Angélique resta un instant immobile, la pomme toujours serrée entre ses doigts fins et les yeux perdus dans le vide. Le fait qu'Ayden avait quelque chose à lui demander parce qu'elle était une fille ne présageait rien de très bon. Elle hocha la tête, dubitative, et il reprit, sur un ton enjoué :

— Il y a cette fête, samedi prochain. Et, bon, j'aimerai... J'aimerais bien inviter une fille à y aller avec moi, sauf que je ne sais pas vraiment comment m'y prendre, alors je me suis dit...

— Tu es sérieux, Ayden ?

Un ange passa entre les deux jeunes gens qui se fixaient à présent l'un, l'autre, sans bouger. Soudain, Angie se mit à pouffer, s'attirant une nouvelle fois les foudres des lecteurs avoisinants. Interloqué par la réaction de son amie, il retint à son tour un petit rire nerveux avant de reprendre, confus :

— Arrête, je vois pas ce qu'il y a de drôle. C'est une vraie question.

— Oui, oui, bien sûr. Pardon, excuse-moi. C'est juste que, toi... en galère pour aborder une fille. C'est vraiment le monde à l'envers !

Gueule d'ange [PREQUEL DVOS] (TERMINÉ)Wo Geschichten leben. Entdecke jetzt