Partie d'Athéna - Chapitre 1

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[TW passage à tabac]  [TW agressions sexuelles]



Elle se fait belle, la plus belle possible. Elle enfile une robe qui affine sa taille, choisit des bijoux scintillants, cercle son regard de khôl. L'insupportable valet Ogier la coiffe (elle déteste sentir ses doigts passer et repasser dans ses cheveux). C'est lui qui la couronne de son habituel diadème de néons colorés. Dans un haut miroir, elle peut alors admirer son reflet en entier. Sans surprise il est parfait, avec ses grands yeux bleus et tristes, ses boucles rousses qui tombent jusqu'à ses cuisses, sa peau tachetée d'éphélides. Elle soupire :

– Je m'ennuie un peu du noir.

– Pourtant cette teinte vous va à ravir.

Elle n'a pas l'énergie de lever les yeux au ciel, et se contente de sourire.

– Allons-y. Le Roi va nous attendre.

Ils quittent la salle de bain, traversent des couloirs aux murs noirs, descendent des escaliers de pierre noire, et s'arrêtent devant les portes noires de la salle du trône. Elles sont ornées de l'emblème des Piques, sculpté à même l'ébène. Elle inspire. Il est temps. Ogier lui ouvre les portes, et elle entre.

L'éclairage cru ne l'aveugle plus depuis longtemps. Elle garde la tête haute, l'air noble, l'air distante. De chaque côté de l'allée qu'elle traverse son attablés les Piques – les soldats, les hommes trop vieux pour combattre, et ceux trop jeunes encore. Ils la fixent tous, d'un œil pieux, d'un œil avide. En face d'elle, assis sur son trône de néons, paré de reflets glacés, le Roi la regarde aussi. Elle s'agenouille devant lui.

– Mon Roi David.

Le cœur battant, la tête baissée, elle attend, dans une position des plus inconfortables, l'autorisation de se remettre debout.

– Ma Dame Athéna.

Elle peut alors se redresser et prendre place à ses côtés.

– Vous êtes sublime, lui glisse-t-il en posant une main sur elle.

Une table est installée pour eux, et le repas servi à tous. Malgré son ventre noué elle mange à sa faim. Elle s'interrompt quand les prisonniers sont amenés – chaque fois, elle en a l'appétit définitivement coupé. Ils ont l'air misérables, avec leurs visages contusionnés, leurs bras cassés, leurs jambes ployées, leurs vêtements en lambeaux. On ne peut même plus savoir à quelle Couleur ils appartiennent. Elle les plaint un peu, mais pas tant que ça : ce n'est que justice. Ailleurs, des Piques subissent exactement la même chose (la place vide de Paul, le cavalier, à la droite du Roi, impossible à ignorer, en est la triste preuve).

– Montrez-moi Charles, ordonne David.

Ogier tire le Roi de Cœur hors de la masse de prisonniers, et le jette brutalement au sol. Dépouillé de sa couronne, sa cape et son armure, Athéna trouve qu'il a perdu de sa majesté. Sa capture ne date que de la veille : il a le temps de toucher le fond avant la prochaine Bataille. Elle a vu de nombreux prisonniers résister comme lui puis, à mesure que les semaines passaient, à mesure que l'espoir de retourner auprès de leur Couleur s'amenuisait, ne ressembler plus qu'à leurs ombres.

– J'espère que nos cachots te plaisent, lance David avec dédain. Tu croupiras longtemps là-bas.

– Je suis fier d'être ici, crache Charles en retour. Je n'ai perdu aucun combat, je me suis sacrifié pour ma Dame. Tu ferais la même chose pour elle.

Il pointe Athéna du doigt, plantant ses yeux dans les siens, avec une violence inouïe. Elle sursaute. David n'a pas besoin d'ordonner à Ogier de battre l'homme pour qu'il commence à le frapper.

– Ne manque pas de respect à ma femme.

Au son des coups de poing, il balaie du regard ses sujets, souriant d'un air triomphant.

– Piques ! Pour la première fois depuis dix ans, nous avons capturé un Roi ! Bientôt, nous gagnerons contre ceux qui se pensent meilleurs que nous, alors que nous avons déjà démontré notre supériorité. Célébrons notre éclatante victoire comme il se doit !

Il lève son verre à la santé de ses hommes. Athéna s'abstient de boire, mais applaudit avec eux. La soirée reprend alors, plus violente qu'elle ne l'était, plus enivrée aussi. Athéna prend part de loin aux réjouissances. Elle esquisse un sourire en voyant l'armée profiter du répit qui lui est accordé. Ils célèbrent sans doute moins la victoire de leur Couleur que leur retour au château, ou le fait d'y être resté. Être fait prisonnier est le pire sort qu'on puisse réserver à un homme – et à une Dame sûrement, si c'était possible. Elle ferme les yeux. La nuit n'est même pas tombée qu'elle en attend déjà désespérément la fin.


Le Roi sait que sa Dame préfère ne pas s'attarder aux soirées. À minuit, devant ses bâillements de plus en plus ostensibles, il lui propose de partir. Ogier offre également de les raccompagner mais Athéna refuse :

– Ne vous en faites pas, vous pouvez faire la fête.

Elle déteste plus que tout quand il vient, et s'assure qu'ils ont tout ce qu'il leur faut, et souhaite une bonne nuit au Roi, puis à elle avec un sourire narquois. Elle n'a pas besoin de ça. Elle veut juste dormir. David l'entraîne à travers le château, jusqu'à leur chambre. Galant, il lui ouvre la porte. La pièce est vaste, circulaire, évidemment noire. Un lit à baldaquins fait face à de larges fenêtres, qu'Athéna ouvre quand elle est la seule éveillée. Elle aime se tenir tout au bord, pliée en deux, comme pour toucher le paysage du bout des doigts. Elle s'assoit à la coiffeuse pour ôter ses bijoux (le cliquetis du collier résonne en chœur avec le déclic du verrou que tire David). Elle enfile sa chemise de nuit. Le tissu satiné reflète les couleurs des guirlandes électriques : c'est le seul moment de la journée où elle porte autre chose que du noir. Elle s'allonge dans le lit, les yeux rivés au plafond.

– Je suis inquiète pour Paul, chuchote-t-elle. C'est trop angoissant de le savoir en terrain ennemi, même pour une semaine seulement.

Le Roi la rejoint.

– C'est la seule véritable défaite que nous ayons essuyée aujourd'hui. Nous le récupérerons dès que possible.

– Je prierai pour lui à la Chapelle.

– Merci, j'en aurai besoin, soupire-t-il. C'est lui qui m'aidait à établir une bonne stratégie en cas de lourde perte... Je vais devoir demander à Ogier cette semaine.

– Mais il n'est pas assez qualifié.

Une idée folle lui traverse l'esprit.

– Je pourrais vous être plus utile.

Le Roi éclate de rire. Elle l'entend se tourner vers elle.

– Vous n'y connaissez rien.

– Mais si vous me permettiez de m'entraîner plus durement, et avec les autres soldats, ou d'accéder à la bibliothèque, l'absence de votre Cavalier vous poserait moins de problème.

– Je ne veux pas d'une femme musclée ou instruite dans ces domaines, rétorque-t-il.

Tout à fait vexée, elle se met dos à lui.

– Peut-être même me préférez-vous simplement idiote.

Il perçoit sa colère et, avec un tendre sourire dans la voix, lui confie :

– Bien sûr que non Athéna. Je vous préfère telle que vous êtes.

Elle pince les lèvres, et sursaute quand celles du Roi s'écrasent dans son cou pour le faire pardonner.

– D'ailleurs je vous laisse déjà beaucoup vous entraîner. Cela vous enlaidit un peu.

– Mais je suis belle quand même ?

– Vous êtes sublime.

Une vraie poupée de porcelaine.

Les ReinesWhere stories live. Discover now