Partie de Rachel - Chapitre 27

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PAS DE TRIGGER WARNINGS DANS CE CHAPITRE VOUS VOUS RENDEZ COMPTE



Elle n'avait jamais osé avoir de robe préférée. Elle les trouvait toutes inconfortables. En les enfilant elle avait chaque fois l'impression de passer une cage de plus autour d'elle. Elles étaient faites pour la rendre désirable et rien d'autre, pour l'immobiliser plus encore, la réduire à un corps. Elles faisaient converger les regards vers elle. Elles attiraient l'attention de César. Elle voulait disparaître – elles la révélaient. Habillée elle se sentait à nu, nue elle se sentait à vif. Elle n'avait pas d'échappatoire. Elle se trouvait laide dans toutes les robes, elle trouvait toutes les robes laides. Elle se savait belle, mais jamais pour elle. Les robes qu'elle a cousues lui permettent de se sentir bien. Elles la cachent, elles la laissent libre de ses mouvements, elles la rendent maîtresse de sa splendeur. Elles sont parfaites – ce soir pourtant, elle sort une par une ses anciennes robes. Elle les étend sur le lit comme des coquelicots. Elle les observe, les compare, les range, les reprend. Ce soir il y a deux yeux (les plus grands les plus bleus) qu'elle souhaite poser sur elle comme des papillons. Ce soir, pour la première fois de sa vie, elle désire être désirable. Ça l'effraie bien sûr, rien ne l'effraie plus que de réaliser qui elle veut près d'elle. Rien ne la terrorise plus que de sentir toute l'affection qu'elle porte à Athéna. Dès qu'elle en réalise l'ampleur, elle frissonne affolée. Mais ce qui subsiste, malgré tout, ce ne sont pas les craintes. C'est une force lumineuse.

Elle se décide pour une robe très longue, rouge évidemment, redoublée de tulle, resserrée à la taille puis évasée, brodée de perles écarlates. Elle rassemble ses tresses en un chignon élaboré, pour dégager son dos couvert de colliers de perles, qui tombent des bretelles. Elle aurait voulu porter une couronne de fleurs, mais elles ne peuvent prendre le risque que les hommes découvrent qu'Athéna a développé ses pouvoirs. Elle n'aura qu'à l'imaginer – et quand elles seront seules, peut-être pourra-t-elle s'en parer. En se maquillant, elle fait attention à noircir lourdement ses paupières, comme un clin d'œil à la Couleur d'Athéna. Lorsqu'elle se regarde dans le miroir, elle est surprise de s'y trouver magnifique. La robe n'y est pas pour grand-chose, c'est qu'elle irradie. Elle est plus heureuse que jamais. D'avoir choisi de porter un vêtement splendide, d'avoir soigné son apparence rien que pour elle et Athéna, de s'appartenir. Il n'y a rien de plus beau.

On toque à la porte, et elle se presse d'ouvrir. Athéna écarquille les yeux en la découvrant. Elle aussi, elle est sublime. Elle a gardé dans ses cheveux une fleur cueillie en forêt. Elle porte un pantalon large, fendu, et un haut qui dévoile ses bras musclés. Elles échangent un large sourire, à la limite d'un éclat de rire.

– Vous avez ressorti une ancienne robe ?

– Oui. J'avais envie qu'on me trouve belle.

– Vous l'êtes sans cesse, je vous l'assure.

– Alors ce soir aussi ?

– Ce soir aussi. Plus que tout.

Elle saisit le bras qu'Athéna lui tend. Toutes ses peurs s'évaporent. Ensemble, elles quittent la chambre. Elles savent qu'elles ne peuvent pas arriver bras dessus bras dessous dans la salle du trône, alors Athéna saisit sa traîne, comme une suivante. Derrière les portes, elles entendent déjà les exclamations et les rires des Carreaux, des bruits de percussions, des pas d'enfants. Rachel ferme les yeux. Elle avait souvent rêvé, beaucoup plus jeune, d'une telle fête. Une où elle aurait été comme une princesse, et aurait rencontré son âme sœur, et aurait dansé jusqu'à l'aube sur une musique enjouée. Ce soir, enfin, tout ressemblera à ce songe.

Les soldats la saluent de cris enjoués quand elle entre. Elle trouve le regard de Christian, et lui adresse un geste de la main, auquel il répond doucement. Les tables sont chargées de plats généreux. Des fumets de vapeur s'en dégagent, mille odeur s'élèvent. Elle gagne sa place – Athéna se glisse sur le côté. En s'installant sur le trône, Rachel échange un regard avec Hector. Elle ne trouve dans ses yeux que de l'amertume, et elle se détourne. Carl lui fait une remarque déplacée qu'elle ignore soigneusement. Ce soir, tout sera parfait. Elle fait un discours pour remercier les Carreaux chargés de la ferme, et ceux aux cuisines qui ont préparé le repas. Quelques applaudissements suivent, et le festin commence. Avec pour seuls voisins Hector et Carl, le dîner pourrait être un enfer – mais elle prétexte avoir besoin d'Athéna pour le service afin de la garder près d'elle. Elles peuvent discuter toutes les deux, sans se soucier de rien. Elles créent comme un écrin autour d'elles. Leurs éclats de rire finissent par éloigner Hector et Carl. Elle chérit plus que tout ce moment où elles sont seules sur l'estrade, Athéna assise près d'elle, dans la salle du trône. Il y a quelque chose d'unique et d'impensable à cette image.

Les ReinesWhere stories live. Discover now