Partie de Rachel - Chapitre 20

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J'ai un peu hésité à mettre cette conversation dans le chapitre précédent, mais elle mérite un chapitre à elle seule et en plus elle est relativement longue. Du coup la voilà. Un peu TW lesbophobie mais pas trop quand même ???


Elle traverse les couloirs du château, avec en tête la discussion qui vient de se dérouler, et les interrogations d'Athéna qui y font terriblement écho. Elle est plus habituée à être hantée par la voix de César, ou celle de Carl, et elle n'a qu'à aller réveiller Athéna et passer un peu de temps au Jardin avec elle, dans ces moments-là. Ce soir c'est différent. C'est une peur trop tenace pour qu'une chanson l'efface.

Elle toque à la porte de la chambre d'Athéna. Celle-ci lui ouvre aussitôt. Comme si elle avait su que l'entrevue avec Christian la bouleverserait.

– Rachel ? Tout va bien ?

Elle acquiesce vivement, avant de fondre en larmes.

– Rachel !

Elle manque de s'écrouler, Athéna la guide sur le lit. Elle y sanglote, incapable de s'arrêter. Elle se recroqueville, se laisse recueillir dans les bras de la Dame.

– Vous êtes en sécurité. Je suis là. Tout va bien.

Patiente, Athéna la berce jusqu'à ce qu'elle se calme, et se redresse, et sèche ses pleurs.

– Que s'est-il passé ?

Elle raconte en détail la conversation qu'elle a eue avec Christian. Athéna écoute attentivement, et lui assure qu'elle a très bien agi.

– Vous avez peur de le perdre ?

– Non, j'ai... j'ai peur d'autre chose.

– Vous pouvez m'en parler ?

Elle soupire. Athéna lève sur elle des yeux inquiets. Elle crache :

– Je crois que César m'a brisée.

Elle ne s'est jamais sentie aussi morte qu'à cet instant.

– Je crois qu'il m'a terrifiée au point que je ne peux plus tomber amoureuse de qui que ce soit. Je ne peux plus avoir envie d'être avec qui que ce soit. Je voulais qu'il n'ait pas eu d'impact sur cet aspect de ma vie, mais bien sûr que si. Bien sûr qu'il me coupe de ce bonheur aussi, c'est ce qu'il m'a appris. J'ai toujours imaginé que je rencontrerais un homme que j'aimerais au premier coup d'œil, avec qui je m'enfuirais et passerais le restant de mes jours. Mais je n'en suis pas capable. Et ça ne devrait pas être si grave, je peux encore aimer de mille autres manières, mille autres personnes. Je ne sais pas. C'est l'idée que ça n'arrivera jamais qui me désespère. L'idée que de toute manière, je suis trop détruite pour tomber amoureuse.

– Vous n'êtes pas détruite.

Elle relève la tête.

– Vous vivez et vous agissez et vous guérissez. Vous n'avez rien d'une femme en ruines.

– Alors pourquoi suis-je incapable de...

– Ce n'est pas parce que vous avez repoussé Christian que vous repousserez tout le monde.

– Mais même Hector, je l'aime comme un ami, comme un frère. Il n'y a personne de qui me je sens assez proche. Je ne peux plus.

– Ce n'est pas parce que vous n'aimez aucun homme que vous êtes forcément détruite. Peut-être êtes-vous juste comme moi.

– Comme vous ?

Athéna prend une longue inspiration. Elle se lève, chancelante, et déclare :

– J'ai longtemps hésité à vous en parler. Mais je crois que... Je crois que je ne peux pas tomber amoureuse des hommes. Et même, je n'en ai pas envie.

– Vous acceptez de renoncer à l'amour, alors ?

– Non plus.

Elle a le visage tordu par l'angoisse.

– Je crois que comment je vous perçois, comment je me sens quand vous êtes près de moi... C'est ce que je devrais ressentir pour les hommes.

– Pour le Roi ?

– Tous les hommes pourraient être un Roi. Qu'importe. Qu'importe au bras duquel on me met, je ne pourrais jamais le regarder comme je vous regarde.

– Mais vous pourriez l'aimer ?

– Non. Je ne pourrais pas. Je ne pourrais pas aimer un homme comme je vous aime.

– C'est comme pour moi, c'est parce qu'ils vous ont fait trop de mal. Mais je suis sûre qu'un jour vous rencontrerez quelqu'un que vous aimerez plus que moi.

– Non, je ne peux pas. Et je ne veux pas. Je vous ai rencontrée vous. Ça me suffit.

– Athéna !

Elle ne peut s'empêcher d'avoir un mouvement de recul. La Dame se tait. Elle secoue la tête, à s'en briser la nuque.

– Je sais que c'est tentant de vouloir s'émanciper à ce point de leur joug, mais vous ne pouvez pas. C'est une rébellion absurde, extrême. Ça ne sert à rien d'imaginer que vos sentiments pour moi sont ceux que vous dites.

– Je n'imagine rien. C'est la réalité.

Elle est désarçonnée, désespérée.

– Mais pourquoi faites-vous ça ?

– Je ne le choisis pas.

– Vous choisissez de vous enfoncer dans cette voie. De vous y embourber. Vous ne luttez pas contre.

– Oui. Je choisis d'être la femme que je suis. Je choisis de ne plus me mentir, me changer, me cacher.

– Je vous promets que vous rencontrerez un homme qui vous fera changer d'avis. Il ne faut pas désespérer. Mais une femme ne peut pas aimer quelqu'un d'autre qu'un homme. Ce n'est pas possible. Ça n'a jamais existé. Ça n'existera jamais. Et surtout pas dans un tel monde.

– Pourtant je me tiens devant vous.

Elle le dit presque fièrement, la tête haute, les larmes aux yeux. Elle semble souffrir de chaque mot que prononce Rachel – comme Rachel souffre des siens.

– Ça vous passera.

– Je l'ai cru aussi. Mais ça n'est pas passé.

Elles se dévisagent, avec au creux des yeux une colère sourde. Pendant un long moment, elles ne disent rien. Rachel la déteste soudain, de s'entêter à ce point. Elles pourraient sauver ce qu'il reste d'elles. Athéna choisit de le sacrifier, de l'immoler, de lui briser le cœur. Et le pire est qu'elle doit sûrement penser exactement la même chose d'elle.

– Je ne veux pas vous voir demain, murmure-t-elle. Je n'abuserai pas de mon pouvoir, vous serez toujours aussi libre, vous pourrez aller où bon vous semble, faire ce que vous désirez. Mais je ne veux pas vous voir.

Elle se détourne. Athéna ne la retient pas. Elle vient de perdre ce qu'elle avait de plus précieux au monde.



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