La couleur de ses sentiments

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   Son sourire plus doux que le miel en hiver jouait une mélodie tranquille. Il étouffait le bruit du mixer qui tournait à plein régime et les cris de dispute. Le chaos disparaissait derrière lui. Tout était plus beau, comme recouvert d'une magie qui rendait merveilleux. Le monde semblait s'effondrer dès que ce sourire s'évaporait. L'espace d'un instant, on se sent tomber à l'infini. Au beau milieu de la chute, on reprend ses esprits comme au sortir d'un rêve.

   Je l'aimais plus que comme une petite amie. C'était aussi une amie, une bonne connaissance, un membre de la famille. Je l'aimais comme si chaque personne de mon entourage était elle.
  Elle ressentait les choses à pleine puissance. Je ne prétends pas la comprendre, simplement j'avais toujours l'impression de vivre dans sa peau quand elle se confiait à moi. Je lui ai dit un jour que même si elle me faisait du mal, je ne lui en voudrais pas parce qu'elle aurait agi avec émotion. Je serai bien capable de me défaire d'elle mais jamais de ses sentiments.

   J'aimais sa colère vindicative, sa joie euphorique et toutes ses peurs, tous ses chagrins lamentables. Elle pleurait beaucoup, riait énormément, certains la qualifiaient de folle.

  Elle m'a appris qu'il y avait de la beauté dans chaque chose mais que tout le monde ne pouvait pas la voir à tout moment. Sous les plus grands désastres, toujours demeuraient un sentiment amer, une peine sourde. Elle ne voulait pas que le monde aille mieux. Pour elle, tout allait bien. Une vie détruite en valait deux. Le bonheur était aussi beau que la dépression.

  Elle aimait la vie à plein poumon, dans ses moindres recoins. Elle écoutait son cœur, il était entier, plein de ses doutes, de ses incertitudes, de ses demi-envies.

  Je la voulais près de moi, encore et encore. Sans elle, tout autour perdait de sa splendeur, tout devenait fade. C'était une fée. De sa baguette, elle donnait à tous les détails une magnifique intensité. Le vert des feuilles était plus profond. Les bruits plus assourdissants. L'air devenait enivrant. On se sentait toujours plein de quelque chose en sa présence. En partant, un vide obscur s'installait pour signifier qu'elle était passée par là.

   Un soir de mai, enfin, elle m'a expliqué comment elle arrivait à voir ainsi. Plus jeune, elle était tout le temps mal dans sa peau, elle ne s'aimait pas et le monde lui semblait démuni d'âme. On racontait toujours les mêmes choses banales, futiles et ordinaires. Rien n'était fou ou incroyable. Elle lisait pour s'imprégner des émotions des autres. Elle tenait bon devant les gens mais au fond d'elle, ses seuls rêves reflétaient un gouffre très noir : la mort. Elle vivait prisonnière dans un monde sans couleur et sans goût.
   Elle est tombée amoureuse un jour. Un garçon gentil, empathique, drôle. Il avait un visage expressif. Voilà ce qui lui a plu. Elle l'a aimé très fort pourtant le monde n'avait pas changé, il était toujours aussi plat. Et puis elle lui a avoué. Après qu'il l'ait refusée, il est devenu encore plus complexe. Il avait l'air interdit, quelque chose le retenait de lui dire quelque chose à ce sujet. Comme un secret. L'année d'après, elle s'est répétée. Cette fois, le garçon est devenu son premier copain. Il aurait brisé la barrière, se serait laissé tenter. Qu'importe, ils étaient ensemble à présent. Tout fut rose pour elle d'un coup. Cependant bien vite, elle est retombée en dépression. La raison de son malheur lui échappait. Elle avait eu le droit de goûter aux rayons du soleil un court instant mais elle était rapidement retournée dans sa grotte lugubre. Elle ne le disait pas bien sûr, le monde était comme ça, pourquoi dire l'évidence ? Tout le monde savait déjà que le ciel était bleu.
   Finalement, il l'a quittée. Plus tard, il lui a confié être amoureux d'une fille depuis des années déjà. Il lui a révélé qu'il mentait à tout le monde, tout le temps. Il était dépressif depuis longtemps. Une mascarade, voilà ce qu'était leur relation. Elle y avait vu de la passion, des couleurs vives, fabuleuses, puissantes. Ce n'était qu'une illusion alors. Pourtant le monde, dans sa détresse d'avoir été trompée et manipulée s'était nuancé de différents noirs. Elle n'écoutait plus le chant des oiseaux, elle l'entendait. Elle ne regardait plus dans l'espoir de voir. Tout était métamorphosé. Au fil du temps, elle avait connu la joie, la vraie, le véritable désespoir, l'envie et le reste.

   Ce récit n'était pas un secret. Elle était ce genre de fille qui avait un charme sans aucun mystère. Elle ne cachait rien. Puisque le ciel est bleu, autant tout dire. Elle n'avait aucun tact, ne savait pas se retenir. Elle avait peur de perdre cette incroyable faculté. Elle percevait le monde selon ses humeurs. Elle n'avait jamais d'opinions fixes car elle était rythmée par ses émotions.

   Tout ce dont elle était sûre en tout temps, c'est qu'il fallait aimer la vie dès qu'on le pouvait.

Les oiseaux ne volent plus - Recueil de textesWhere stories live. Discover now