Corps étranger

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   Aujourd'hui est un jour spécial. C'est dimanche. Fatalement, comme à chaque semaine, on est dimanche un jour.

   La main de l'homme caresse ma hanche, descend sur ma cuisse et il m'embrasse. Quand Maximilien me fait la même chose, mon corps m'appartient plus que jamais ; mon esprit semble circuler dans tout mon système sanguin. Mais là, mon esprit s'est séparé de mon enveloppe charnel dès cet instant. Je sais ce qu'il va se passer. Je ne veux pas voir ce qu'il va faire. Je me raidis, mes muscles se contractent brusquement. Je suis paralysée. Je serre les fesses, les jambes, je m'enferme comme je peux.
   Ses baisers me dégoûtent. Sa langue passe sur mon cou. Je n'en reviens pas. J'ai peur qu'en me débattant, je ressente encore plus mon corps subir. Si je bouge, tout me paraitra plus réel et intense. Il défait mon pantalon. Ma coquille suprême, ma cuirasse, ma cotte de maille, ce qui protège ma peau : mes vêtements. Il enlève tout ça. Il touche ma culotte. Voilà comment je me retrouve complétement vulnérable. Sans aucun bouclier face à l'épée sortie de son fourreau qui se dresse devant moi. Ma bouche se crispe. Mes dents se cognent. Je voudrais crier. Mais quoi ? Je sais ce qu'il va se passer.
  Je pense à ma chatte que je viens de perdre et ça m'arrache le cœur. Je voulais qu'elle ne soit prise que de plaisir, de belles sensations agréables. Cet homme lui a volé tout ça, d'un grand coup sec qui brisa mon esprit-même. Et peu importe que tout soit recollé, on ne répare pas les fissures.
  Je m'éteins. Mon enveloppe n'est plus la mienne, ce n'est plus qu'un corps qui erre dans l'espace à trois dimensions. J'ai hâte, si hâte, hâte, hâte, hâte de le retrouver, qu'il soit de nouveau à moi.

   Sans que j'y crois vraiment, il a fini par partir. Il a laissé près de moi une partie de lui. Son corps s'était éloigné mais sa présence n'avait pas décampé. Il sera toujours avec moi, en moi, d'une certaine manière. J'avais beau avoir retrouvé mon corps, je n'ai pas tout de suite réussi à en reprendre possession. Il n'était plus que débris bons pour la décharge. Voilà ce que j'étais devenue. Il ne me restait qu'une part de moi. J'ai voulu en finir.

   Un corps étranger a volé le mien un dimanche.

   Aujourd'hui, la présence des autres m'insupporte. Il me faut être seule. Ma propre présence est insupportable.
  Si j'effleure mon sein, j'ai peur, je me sens encore partir. Je n'ose plus toucher ce corps sur lequel on a pissé dessus. Il est impur, immonde. Je dois ignorer tous mes désirs car dès que ma main me caresse, je sens la sienne à la place. J'ai la sensation que la main que je fais bouger n'est pas celle que j'ai et que j'ai vue grandir depuis que je suis bébé. J'ai l'impression que ma main est celle que lui a connue. Au regard, cette main semble normale, inchangée, pourtant au toucher, la peau est rugueuse et la caresse dure comme la pierre.

  « Les dieux nous envient parce que nous sommes mortels, parce que chacun de nos instants peut être le dernier et que tout est beaucoup plus beau [et que tout est beaucoup moins douloureux] parce que nous sommes condamnés. »

Achille, Troie.

Les oiseaux ne volent plus - Recueil de textesWhere stories live. Discover now