Chapitre XXII ~ Loan

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Mathéïs me réveille délicatement ce matin. Même si ma vie est un enfer, j'ai encore la chance de voir le visage de celui que j'aime en ouvrant les yeux. Je lui rends son sourire et me résigne à sortir du lit.

Une journée de plus en enfer.

Ce soir, normalement, je suis tranquille. Je devrais pouvoir me reposer un peu, pour reprendre un peu de force. Même si depuis deux semaines, mes forces s'envolent plus vite que je les récupère.

Je m'habille et rejoins Mlle File-les-j'tons dans le grenier.

Pourquoi le grenier, je n'en sais rien du tout.

Elle m'a dit hier soir, après s'être nourri de ma douleur, qu'il fallait que la rejoigne au grenier le lendemain matin. En bon esclave, je m'exécute sans poser de question.

De toute façon, je n'ai plus la force de poser des questions.

J'arrive donc avec quelques minutes d'avance au grenier. Je patiente en attendant que ma maitresse arrive en me demandant ce que je vais bien pouvoir faire comme tâche encore. Cinq minutes passent, puis 10, puis 15 et toujours aucun signe de Mlle File-les-j'tons.

Ne me dites pas qu'elle m'a oublié ?

Non ! La voilà qui débarque... sous sa forme démoniaque ! Elle se pose délicatement sur une poutre épaisse du grenier, balayant la poussière ainsi que moi-même avec ses ailes. Je m'accroche tant bien que mal à un poteau en couinant de douleur.

Les séances de tortures, ce n'est pas bon pour la santé.

- TU ES A L'HEURE ! C'EST PARFAIT ! MONTE ET ACCROCHE-TOI, ON A DE LA ROUTE ! M'explique-t-elle de sa voix reptilienne.

Une de ses pattes descend à ma hauteur et ses griffes s'écartent pour me laisser la place de m'y installer. A contre-coeur, je monte dans ses serres et me tiens solidement à l'une d'elle. Tandis que Lilith décolle brusquement, je manque de tomber. Sa patte se resserre autour de moi sans pour autant me broyer.

L'air ne passe pratiquement pas, je suis plutôt bien protégé dans cette patte gigantesque. Je me demande bien pourquoi elle s'emploie à me protéger autant. Si j'avais dû parier, j'aurais juré me retrouver pendu dans les airs, uniquement retenu par les bras, le vent en pleine gueule.

Eh bien non, je suis confortablement installé.

Je suis surpris de cette attention... qui ne dure pas longtemps. Ses griffes s'ouvrent soudainement, me laissant tomber lourdement au sol, quelques mètres plus bas.

J'atterris dans une clairière que je n'ai jamais vu. Sûrement éloigner du manoir.

Qu'est-ce qu'on fait ici, au juste ?

Je ne vais pas tarder à avoir ma réponse, Lilith se pose à côté de moi et reprend sans forme humaine. C'est toujours impressionnant de voir un oiseau géant se transformer en femme en quelques secondes.

- Tu as survécu jusque-là, c'est déjà un exploit, lance-t-elle sur un ton moqueur.

Je lui fais une grimace discrète et me prends une tape sur la tête.

Elle l'a vu. Elle voit tout de toute façon.

- Qu'est-ce qu'on fait là ? Et c'est où "là" exactement ? J'ose demander.
- Nous sommes à la frontière de la capitale et on est là pour casser du nez, m'explique Lilith fièrement.
- Quoi ?! Je m'exclame.

La frontière de la capitale du royaume, avec l'armée impériale géante qui rôde de partout pour chasser les démons, surtout elle !

- Tu n'est pas sérieuse ? Je demande sans réfléchir.

Mon effronterie lui fait froncer les sourcils et je crains pour ma vie. Elle me fusille du regard puis se radouci soudainement.

Oula ! Ce n'est pas normal ça.

- Si, si, je suis très sérieuse.
- Pourquoi je suis là alors ? Tu n'as pas besoin d'un gamin comme moi pour "casser du nez" comme tu dis.
- En effet. Je t'ai emmené pour que tu me serve d'appât.
- Pardon ?!

Elle se fout de moi là ? Dites-moi qu'elle se fout de ma gueule !

- Je veux que tu trouves une unité de l'armée et que tu l'attire vers moi, je m'occupe du reste.
- Rien que ça.
- Dépêche-toi gamin ou c'est ton nez que je casse ! S'énerve-t-elle.

Je viens d'atteindre la limite de sa patience.

Comme vous pouvez le constater, il ne faut pas longtemps.

Je courbe le dos et me mets à courir. Je m'enfonce dans la forêt pour trouver une unité sans grande conviction. Je m'essouffle beaucoup trop rapidement - la faute à qui -, je vais mourir avant d'en trouver une.

Heureusement, la chance semble être de mon côté ce matin. Au bout de 5 minutes de course éprouvante seulement, je trouve une unité de soldats en chasse. Je me précipite vers eux en faisant mine d'être terrorisé et poursuivis.

Ce qui n'est pas trop difficile, je n'ai qu'à imaginer Mlle File-les-j'tons en colère et voilà le travail.

- Au secours ! Un démon me poursuit ! Je m'égosille à leur attention.

Comme la dernière fois, lors de notre tentative d'évasion, les soldats se foutent complétement de mon état et préfère se concentrer sur le démon.

- Par où ? Me demande ce qui doit être leur général.

J'indique la clairière où les attends patiemment Lilith du doigt en reprenant mon souffle. Toute l'armée se lance dans cette direction, me laissant seul.

Je les observe partir en courant - directement vers leurs morts - et tombe au sol. J'ai mal nom d'un chien. Ma poitrine est affreusement douloureuse, je ne sens plus mes jambes et mon coeur veut sortir de ma cage thoracique.

Elle me met dans un sale état cette-

Mes pensées insultantes sont coupées par un cri guttural lointain et puissant. Il me rappel vaguement celui de Lilith sous sa forme démoniaque mais quelque chose cloche. Ce cri-là transmet de la douleur.

Pris d'une inquiétude soudaine, je me lance en direction de la clairière. Je cours aussi vite que mon pauvre corps me le permet. Mon instinct me dit que Lilith est en danger et que je dois l'aider.

Pourquoi ? Parce que je ne veux pas rester ici seul.

Je cours, je cours et arrive enfin. Ce qui s'offre à moi me glace le sang : Lilith est allongée par terre, baignant dans une flaque de sang noir et entourée par l'armée de soldats.

Mon petit doigt me dit que les choses ne se sont pas passées comme prévu.

- Sale démone ! Hurle l'un des soldats en pointant sa lance sur la poitrine ensanglantée de ma maitresse.
- NON ! J'hurle de toute mes forces.

Je ne veux pas qu'elle meurt. Sans elle, je serais mort. Certes, elle me fait souffrir le martyre mais elle prend également soin de celui que j'aime, lui permettant de manger à sa faim et de dormir au chaud.

- Gamin ? Me parvient la voix brisée de Lilith dans ma tête. Sauve-toi.

Quoi ?!

Pacte avec le Diable [TERMINEE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant