11. Tan

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La nuit commençait à tomber. Tan et Jinah étaient restés environ deux heures, assis sur l'herbe, l'esprit torturé par ce qui venait de se passer.

    Le visage du Seigneur Worda flottait dans l'esprit de Tan, hantant chaque parcelle de son corps. Chaque brise, lui rappelait la main de l'homme sur son bras. Il aurait dû s'en douter plus tôt. Le comportement des habitants, leur tenue, la présence d'un Seigneur, sa conversation avec celui-ci. Tout indiquait que le village n'était pas normal.

    Pire que tout, la fontaine au milieu de laquelle trônait Aédé, était comme une douloureuse confirmation que tout ce qui s'était passé, s'était réellement passé.

    Jinah était restée face à la statue pendant tout ce temps. Quand la pression était retombée, elle avait même laissé échapper quelques larmes discrètes. Tan la comprenait. Il avait beau croire en beaucoup de choses, il avait toujours affirmé que les fantômes ne pouvaient exister. Jinah, elle, ne croyait qu'en la science. Elle n'était pas prête à affronter ça.

    Et dire qu'ils ne se connaissaient que depuis deux jours. C'était difficile à croire. Avec tout ce qui s'était passé, il lui semblait qu'il s'était écoulé plus d'un mois. Peut-être était-ce le cas. Après tout, il ne savait toujours pas combien de temps ils avaient dormi dans la forêt.

    Il leva la tête vers le ciel. Quelques étoiles se montraient déjà, malgré les nuages. Les deux lunes, Libey et Rajan brillaient parmi elles, éclairant la vallée où se trouvait le village auparavant.

    Comment avaient-ils pu voir un village qui n'existait pas ?

    Il n'avait cessé d'y réfléchir pendant ces deux heures. Mais la réponse ne venait pas. Jinah semblait en savoir plus que lui. Mais il n'osait pas lui poser la question.

    Sans qu'il ne s'y attende, elle murmura :

    — Cette vallée est hantée. On doit rejoindre la forêt pour la nuit.

    — Que leur est-il arrivé exactement ? lui demanda timidement le jeune homme.

    — Il y a trois-cent-vingt-cinq ans, après la disparition d'Aédé, pendant la Grande Guerre, Mélène a détruit une dizaine de villages du nord d'Obsèl et une quinzaine de Kahara. Tous les habitants de plus de vingt-cinq ans ont été massacrés et leurs cadets ont été emmenés à Mélène. Certains sont devenus esclaves, d'autres ont été utilisés comme main d'œuvre ou soldats. Lorsque la Guerre s'est terminée, trois ans après, beaucoup, les plus âgés surtout, ont préféré rester à Mélène. Ils y avaient fait leur vie pendant trois ans. Certains s'étaient même mariés, avaient eu des enfants. Les autres ont regagné leur Royaume natal mais ne se sont jamais remis de la Guerre. J'imagine que les fantômes de ce village n'ont jamais trouvé le repos...

    Tan frissonna. Non seulement cette histoire était affreuse, mais il commençait vraiment à faire froid. Il se leva et tendit sa main à Jinah pour l'aider à se relever. Ils devaient rejoindre la forêt et faire un feu avant qu'il ne fasse totalement noir. Et s'ils pouvaient aussi trouver quelque chose à manger, ce serait mieux encore.

    Ils tournèrent le dos à la fontaine et s'éloignèrent vers le bois. Tan n'était pas plus rassuré que ça à l'idée d'y pénétrer en pleine nuit. Mais a priori, l'expérience serait moins terrifiante qu'une nuit dans une vallée hantée.

    Ils firent quelques pas entre les arbres, puis estimant qu'ils s'étaient assez éloignés de la vallée, Jinah s'arrêta.

    — On devrait se mettre là. Je m'occupe de faire un feu. Essaye de trouver quelque chose à manger.

    Tan hocha la tête, soulagé qu'elle prenne les directives. Si cela n'avait pas été le cas, il n'aurait jamais su quoi faire. Il n'avait jamais passé la nuit dans une forêt ou même fait un feu de camp. Alors heureusement qu'elle était là.

La Légende d'AédéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant