XIX

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Jack Greed (essai)

« Ô ! Mais que tu es belle mon amour, tes lèvres sont déjà rosées ce matin, et ta mine est radieuse. Je suis heureux de pouvoir me réveiller à tes côtés, comme ça avec innocence... ».
Jack se tenait sur son lit les yeux à moitié ouverts, plissés vers les vagues de draps blancs et le corps tendu. Chaque matin il se plaisait à imaginer une femme près de lui, il désirait depuis longtemps la chaleur féminine et le doux parfum que ces êtres offraient au monde mais jamais il n'était parvenu à tisser une véritable relation. Chaque fois qu'il réalisait qu'il n'aurait jamais de femme, son sourire s'effaçait mollement et ses désirs devenaient un peu plus sombres, moins romantiques et un peu plus sordides. Il fini par se rallonger, en soufflant fort, d'un air chaud et exaspéré, sa poitrine se soulevant comme s'il allait crever de son insatisfaction, et d'un geste fatigué il avança une main dure et forte vers le plafond. Comme pour attraper quelque chose d'imaginaire, impossible à percevoir il effectua un geste animal, comme si une proie, le cou d'une petite proie se trouvait en face de lui. Ses doigts se recroquevillèrent sur eux-même et sa main fini par ne former qu'un poing, il sourit en imaginant ce qui aurait pu s'y trouver. Son cœur s'accéléra, il avait honte de ce qu'il était, ou plutôt de ce qu'il devenait de jour en jour à l'intérieur de lui-même ; depuis petit il avait prit l'habitude de trouver de petits animaux morts ou agonisants, dans les bois ou sur les routes et il se musait à les démembrer s'il ne les avait pas déjà tué. Les pulsions pourtant, n'était pas nées de cette infâme pratique car en vérité, les enfants éduqués se maîtrisent en face de la mort et surtout ils ne jouent que rarement avec. Jack était un enfant différent, sa mère bien trop protectrice et perverse tentait de le garder auprès d'elle depuis qu'il savait marcher, et s'imposait bien trop dans la petite maison que son fils et elle habitait. Le mari était mort depuis, d'une mort soudaine et brutale qui fit rage dans une nuit de décembre inquiétante et durant laquelle Jack était resté dehors, le temps que son paternel s'achève seul. En effet, des crises de paniques et des convulsions lui prenaient depuis des heures, Jack se souvenait encore l'avoir entendu crié en frappant presque le médecin et sa mère. Le décès l'avait marqué mais, grandissant dans des bras étouffants et psychotiques il n'avait pas eu le temps de penser au deuil. Sa mère, qui d'ailleurs portait le nom de Prudence possédait un visage fermé, carré et presque masculin ; sa mâchoire épaisse était forte et allait parfaitement à ses épaules de travailleuse. Ses gros bras et son regard froid, impassible lui avait offert le surnom de la « Brute Charmante » dans les villages alentours, parce que bien que parée d'un physique peu attrayant, la Prudence était admirablement serviable auprès des autres. Il n'y avait qu'avec son mari qu'elle n'aimait pas faire de manières, comme si son bercail était le lieu de ses péchés et qu'elle s'autorisait à y être elle-même une fois entre les murs. Jack agissait sur elle comme un calmant, un médicament puissant qui l'apaisait et cette image neutre lui était parfaitement convenable ; Jack avait hérité du caractère taciturne de son père, le pauvre Edgar avait laissé sur les terres françaises un pauvre petit à la mine triste, et aux passions douteuses mais qui cependant, avait aussi hérité d'un sourire franc. Petit il était renfermé, mais en grandissant ses traits s'affirmèrent, si bien que les filles commençaient à s'intéresser à lui. Certaines étaient même passionnées, on venait lui parler à la récréation histoire de percer son regard imperturbable et froid qu'il avait volé à sa mère une fois mis au monde. La mégère, quand à elle, avait remplacé ce regard stoïque depuis longtemps par celui d'une mère fatiguée et calme, régulière dans ses actions et fidèle à ses principes ; pour les autres elle avait perdu du poil de la bête et ça n'était pas si mal, son corps s'était dégrossi avec les années, et puisqu'elle ne mangeait plus que pour travailler et nourrir son fils les graisses perdues lui taillaient le corps à merveille. Plus elle vieillissait et plus les hommes du village lui parlait, mais elle ne parvenait jamais à accepter un seul rendez-vous et s'excusait avec politesse, toujours en usant de Jack comme excuse. Le temps lui aussi l'avait changé, bien évidemment son regard ne changeait et ne changerait jamais cependant, à dix-neuf ans ses épaules s'étaient grandement élargies et son dos était dur, pareil à un bouclier d'acier. Ses bras, taillés pour faire de rudes tâches étaient encrés de multiples symboles noirâtres qui recouvraient méchamment le bougre, de ses menottes jusqu'à ses biceps.
Sa mère ne lui disait rien pour les tatouages, car tant qu'elle le savait aimant elle ne pouvait rien lui reprocher, elle lui avait toujours tout offert et lui offrait encore aujourd'hui, ne vivait plus que pour son fils. L'étrange phénomène était que, à l'aube des 9 ans de Jack celui-ci avait remarqué le manège fou de sa mère entêtée. Il s'était senti trahi et pourri-gâter, le sentiment de plaisir que sa mère se tuait à lui faire ressentir devenait de jour en jour une haine profonde, émergeant des tréfonds de son âme d'enfant privé de père. Quand Jack avait comprit que sa mère s'acharnait à le faire rester, ici dans ces lieux si fades et moroses il avait ressenti en premier lieu une trahison, puis étrangement une certaine pitié pour sa mère, une pitié que seule un fils peu ressentir. Depuis cette période, cela faisait dix ans qu'il ne savait pas quoi penser, alors il n'avait trouver comme solution que de s'évader vers la grande capitale, loin de cette mère toxique. Bien évidement le départ n'avait pas été évident, mais comme tout enfant intelligent et calculateur il avait joué sur sa position de fils pour retourner la situation ; en effet quand sa mère, en pleurs était venue le supplier de rester en basse campagne, profiter avant la mort d'un air pur et frais, Jack lui avait répondu sur un ton froid mais pas méchant. C'est là qu'on voyait que c'était un bon bougre, sa main s'était glissée sur l'épaule de sa génitrice avec fermeté et respect, et il avait seulement déclaré être dans le besoin de partir ; « Mère je ne veux pas vous laisser, je ne peux. Mais je veux que vous soyez fière de moi, qu'est-ce qu'un homme s'il n'apprend à marcher que dans une campagne ? Sans aucun être à côtoyer ? ».
La mère s'étaient résolue au bout d'une petite heure, plus par peur d'être rejetée que par compassion envers son fils, mais lui avait interdit de parler à d'autres femmes, d'un ton presque médiocre elle contait la décadence des capitales, un sourire fourbe sur sa face car elle était fière de mener encore aujourd'hui, ce petit bout d'homme à la baguette.
Mais Jack voyait clair, le seul défaut qui détruisait son âme était sa fâcheuse tendance à s'aveugler volontairement, et contrairement à certains c'était un visionnaire, un chic type à l'allure correcte et aux principes d'homme ; sa mère lui avait instruit l'obéissance et la politesse, elle l'avait chargé de coups quand il était plus petit et de cela naissait un respect des règles chez lui. Quand il s'installa dans la capitale, il fut reçu dans un bureau d'ouvriers respectables mais légèrement bougons, des ouvriers se saoulant une fois le travail fini. Les horaires plaisaient à Jack, il quittait son petit studio à huit heures du matin, une sacoche en cuire que sa mère lui avait fait faire depuis un petit atelier de sa campagne. Elle y avait inscrite son nom et le sien à côté, Jack n'aimait pas ce sac mais pour une étrange raison il le gardait toujours auprès de lui, le traînait en tout lieux comme un sentiment qui empoigne le cœur mais dont on ne peut se séparer. Ce sac le gênait oui, mais il en avait besoin car c'était son seul repère au sein de cette grande ville ; il restait taciturne, même au boulot auprès des autres qui pourtant étaient sociables, lui se renfermait dès qu'il le pouvait et ne supportait pas d'être entouré. Il adoptait de jour en jour alors cette froideur, la domptait pour ne pas être grignoté par elle et apprenait à vivre avec. Jack était seul, il n'y avait donc que sa mère pour le soutenir et ce matin, il ne travaillait pas. Il se sentait extrêmement seul depuis son arrivée dans la capitale, la solitude l'avait toujours entouré car il était doué d'une intelligence supérieure, il faisait les choses différemment et cela depuis môme, les autres ne comprenaient jamais. À force il s'était inventé une femme, il l'imaginait d'abord, elle était souvent dessinée avec de longues jambes fines se prolongeant ainsi sous une robe de dentelle noire, qu'un décolleté presque vulgaire rendait charismatique. Il la voyait chaleureuse, douce et à l'écoute de ses problèmes et à chaque fois qu'il rêvait d'elle s'en suivait une colère profonde, mélange de frustration et de désir. Était-ce sa mère qui l'avait ainsi privé des femmes, était-ce seulement cette petite bonne femme qui était la responsable de toute cette souffrance ? Bon dieu il était empli de haine et d'affection pour elle, il aurait bien voulu la tuer mais il ne le pouvait. Aujourd'hui encore des pulsions l'animaient de nuit et il désirait être en face de sa mère, baiser son front puis toucher avec légèrement la peau de son cou pour la saisir. Dans ces moments-là il avait peur de ce qu'il était, de ce qu'il serait capable de faire alors il s'engagea à enterrer ce chaos pulsionnel. Dix-neuf ans, dix-neuf ans il et il n'avait pas connu une seule bonne femme, plongé dans ses draps et le bras levé il dessinait avec un visage neutre les courbes d'une créature féminine. Des yeux sucrés d'une couleur caramel lui faisait désormais face, il sourit à ce mirage et il était désireux d'elle, car la femme comme à son habitude était vêtue de cette robe noire si fine, si légère et cette chose, il ne pouvait pas la tuer même s'il le voulait, enfin si, il le pouvait mais cela signifiait qu'il s'emporterait avec. Le jour se levait calmement, Jack dans un mouvement lent de fatigue s'assit sur le lit en face de sa fenêtre cintrée, celle-ci donnant sur une partie de la ville dans laquelle il était plongé. La fumée blanche réveilla ses papilles et bientôt il désirait un café chaud, et fini alors par s'avancer vers la cuisine. Sa chambre était petite mais son lit était double, il prenait grande place mais Jack s'y sentait particulièrement bien ; à vrai dire il ne supportait plus de coucher dans un lit une place car il aimait le matin, imaginer une douce femme lui caresser les cheveux avec tendresse, une femme qui ne soit pas sa mère. Ses pas, sur un plancher de chêne émettait des bruits de craquements, l'immeuble était ancien et habité par de multiples cas sociaux ; un grand barbu, à l'odeur aigre se trimbalait des fois dans les couloirs accompagné d'un ami, toujours le même, un homme de petite taille aux joues creuses et à la mine blafarde constamment coiffé d'un simple bonnet noir. Jack ne le connaissait pas bien et ne désirait pas plus le connaître plusieurs fois il avait entendu dans les couloirs le rire puissant de ce barbu roux, et il prenait peur d'être lié à d'autres gens. Il ne voulait rencontrer personne que cette femme qui le faisait tant fantasmer de jour comme de nuit, il vivait presque sa vie avec elle, se parlant à lui-même des fois afin de lui offrir une réelle existence. Ce matin une fois encore, il n'était que dix heures quand Jack se prépara son café ; il était perdu, fatigué de cette solitude qu'il aimait tant pourtant, mais qui le trahissait chaque jour. Sa main se posa contre la cafetière et d'un autre geste mécanique il s'empara de son téléphone, chargé au maximum. Il appela un vendeur de quelques substances planantes du nom de Momo, la seule personne qu'il appelait quotidiennement en dehors de sa mère qui elle, le harcelait.
Il répondait toujours cependant et parlait avec un calme qu'il avait apprit à garder auprès d'elle, elle lui disait toujours « je t'aime prend soin de toi », et lui se contentait simplement de la rassurer, mais jamais brièvement, il s'assurait de garder ce ton poli et respectueux puis il raccrochait.
Une fois l'appel fini il passa dans la salle de bain prendre une douche, les épaules faibles et fatiguée à cause de la constante dépression qui le hantait. Il s'imaginait désormais dans cette douce avec cette femme aux cheveux caramel et aux yeux verts, puis quittait le carrelage froid pour retourner dans son lit. Étrangement, la sonnette retentit longuement une fois qu'il avait rejoint sa couchette. Il pesta longtemps avant de se décider à ouvrir ; ce n'était pas normal et il le savait, son cœur battait lourdement quand il passa sa main sur le crochet de la porte. Cette-dernière s'ouvrît lentement, Jack voulait que son visiteur sache que ce n'était pas le bon jour et puis, bon Dieu pourquoi sonner un samedi matin ? Mais la surprise fut telle qu'il en oublia son mécontentement ; devant lui, son voisin à la barbe rousse souriait et lui tendait une enveloppe blanche, parfaitement lisse st sur laquelle était inscrit le nom de « Mlle Baker ». Son voisin ne lui laissa pas le temps de réfléchir ou de poser une question, et enchaîna tout de suite avec les explications après avoir sourit longuement.
- Nous recevons une nouvelle voisine au dernière étage Jack, j'espère que tu seras au rendez-vous ! C'est ce soir, elle nous a tous remit cette lettre hier en nous croisant mais elle n'a pas trouvé m'sieur Greed ! Alors je lui ai proposé de te la déposer.
L'interlocuteur parlait à Jack avec une certaine familiarité tandis qu'il ne connaissait même pas son nom, ni prénom. Il ne s'attarda pas longtemps en face de son voisin et claqua la porte vivement après avoir feint un simple « merci », qui se voulait désintéressé ; mais au fond de lui il était heureux, lui qui fuyait ses voisins et le monde il était satisfait de recevoir l'invitation d'une femme. Bien sûr il appréhendait la soirée et se disait que l'ennui allait être au rendez-vous, qu'il passerait trente minutes avant de feindre un important rendez-vous mais quelque chose en lui pétillait, s'activait en vitesse et le faisait vivre un quotidien différent. Cette idée de changement, ne serait-ce que le temps d'un soir finalement l'animait et pour une raison que lui-même ne connaissait, il se précipita pour se préparer.
Devant la grande glace calée contre la porte de sa chambre, il venait d'enfiler un pantalon noir chic simple, ainsi qu'une chemise noire parfaitement repassée et des baskets grises. L'air fier il se parfumait devant la glace, s'amusant à garder son regard froid se désirant imperturbable. Il jouait alors que la soirée n'était que ce soir, il aurait pu paraître passionné par cette femme et cette soirée mais en vérité, sa véritable attention était bien plus tordue. Il voulait jouer, et il jouerait, comme si son passé le rattrapait et qu'il désirait le fuir pour tourner une nouvelle page, il voulait jouer avec la gente féminine et tout particulièrement avec cette inconnue. Il se rassurait pourtant, oubliant qu'elle aurait pu être stupide et sans intérêt mais l'idéalisation de son mystérieux fantasme le poussait à faire des folies que de nature, il n'aurait jamais effectué. Alors d'un pas vif, il se dirigea de nouveau vers la cuisine, se servit une tasse entière de ce café noir et déambula jusqu'au hall où il espérait y croiser la voisine. Malheureusement il ne la trouva pas, mais entêté et épris de ce nouveau jeu morbide, qui stimulait son crâne et ses désirs sombres il s'en alla jusqu'au fleuriste. Il profiterait de cette journée, déboulerait le soir-même chez cette Mademoiselle Baker et lui offrirait des fleurs ; bien évidemment, il tombait amoureux d'une femme qu'il ne connaissait pas et cela pour la simple raison qu'il était Jack Greed.

Recueil I Where stories live. Discover now