29 - Festin

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Mon visage pâlit pendant que je m'assois en tailleur avec les autres. Gédéon saisit la créature et l'étale sur la moquette. Autour de nous, Ludu fait des allers-retours impatients ; il veut sa part du gâteau, et si le gâteau est ce que je crois, alors je lui laisse la mienne sans souci ! Jonas dirige son doigt vers le trou qui orne la poitrine de la bête, et joue avec le filet vaporeux qui s'en échappe.

— Du beau travail ! La blessure est nette, c'est très propre !

Le colosse se contente d'un hochement de tête et passe une main derrière son dos. Je réfrène ma panique à la vue du poignard. D'un geste souple, l'homme place la lame à la base de la queue et tranche d'un coup sec. De la coupure jaillit une gerbe de fumée. Il plaque son trophée sur la moquette et débite le membre en plusieurs parts. Je suis tendu, car je ne vois ni feu, ni marmite. L'idée de manger la créature – crue – me révulse, d'autant que je n'ai pas faim. Ludu gémit. Jonas comprend le message, et balance un beau morceau au fond de la salle. Fidèle à lui-même, le cabot démarre au quart de tour, préférant escalader les spectateurs plutôt que d'emprunter les escaliers pour atteindre son casse-croute. Je souris nerveusement quand ses burnes tapotent le visage du jeune pollueur. Je m'apprête à décliner, mais Jonas me prend la main et dépose un bout de chimère à l'intérieur. Le contact froid de la peau me dégoute, et je dois lutter pour ne pas le lâcher sur la moquette.

— C'est fin, c'est très fin, ça se mange sans faim.

Je reconnais Le père Noël est une ordure, mais ne dit rien, car le mort-vivant me regarde le plus sérieusement du monde, son œil aussi fixe que du verre. Gédéon me toise, le visage impassible.

Noah, mon vieux, tu n'as pas l'air d'avoir le choix.

Je ne veux pas prendre le risque de froisser mon hôte. Alors je respire un grand coup, croque et avale dans la foulée, sans mâcher. La voix grave de Gédéon raisonne, réprobatrice.

Absorber de cette façon. Je ne crois pas que...

Les paroles du colosse se perdent dans untourbillon. Ma vue se brouille, comme si j'étais ivre ou sous l'effet d'une substancehallucinogène. Je suis obligé de m'allonger sur la moquette, incapable desoutenir mon buste. À l'ivresse se mêle l'angoisse d'avoir été empoisonné.Après tout, je ne connais Jonas que depuis quelques heures. Un filet de bavecoule le long de ma joue. Mon esprit accueille le néant, et le voyage commence.

Les PsychésWhere stories live. Discover now