28 - Gédéon

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Petit n'est pas le mot que j'aurais choisi pour décrire le nouvel arrivant. Pas du tout. L'homme doit mesurer deux mètres. Sur son crâne culminent des dreadlocks, impeccablement rangées. Sa peau est sombre, d'un noir intense. Je me sens crevette, à côté de cet inconnu au corps puissant et parfaitement proportionné – un véritable étalon. Son T-shirt à manche courte moule un torse taillé à la serpe. L'homme dégage une force hors du commun. Je suis impressionné... et complexé ! Gédéon ? Un prénom original, que son physique doit rendre moins difficile à porter. Il avance d'un pas sûr vers Jonas, dont l'œil pétille de joie.

— Que je suis content de te voir, camarade ! Oh ! Tu m'as ramené quelque chose !

Gédéon m'ignore et soulève son présent. Je ne peux retenir un hoquet.

Suspendu par la peau du dos, le cadavre doit peser son poids. Sa langue tombe sur le côté de sa gueule, dévoilant une rangée de canines aiguisées comme des couteaux de cuisine. Un trou béant traverse son poitrail.

La créature de ce matin ! La chimère de l'église !

— Comme c'est gentil ! Mais viens, le bonheur n'est réel que lorsqu'il est partagé. Alors ?

— Into the Wild. Tu me la fais à chaque fois.

— C'est parce que tu me gâtes à chaque fois !

Jonas prend Gédéon par les épaules, l'air ravi. Le colosse lâche la créature, qui s'entasse sur le sol façon sac de linge sale.

— Comment vas-tu, Jo' ?

— Bien, très bien ! Et j'ai de la visite ! Laisse-moi te présenter un nouveau camarade.

L'homme pivote Gédéon pour qu'il puisse me faire face ; mes paumes sont moites, mais je décide d'être volontaire et fais un pas en avant, la main ouverte. Je puise dans mes tripes la voix la plus masculine.

— Enchanté, moi c'est Noah.

Le visage du colosse devient aussi dur que du quartz. J'ai toujours le bras tendu. Son silence et notre écart physique m'écrasent, mais Jonas intervient :

— Sa Psyché est toute fraiche ! De ce matin !

L'aura de force paisible qui entourait Gédéon a disparu. J'ai l'impression qu'il pourrait me sauter à la gorge. Je m'apprête à la retirer quand Gédéon me broie la main. Je me retiens de couiner comme une fillette, heureusement la punition ne dure qu'une seconde.

— Bon, j'étais dans le coin, je suis passé. Mais comme tu es occupé, je repars.

La lumière s'éteint, et le brouhaha qui régnait dans la salle diminue. Les braises, incrustées sous les chairs de Jonas et Ludu rougeoient, comme si le feu qui les a consumés venait juste de mourir.

— Tu plaisantes, camarade ! Nous allons faire un festin de roi, pendant que tu me donneras les dernières nouvelles. De toute façon, le film commence, que tu le veuilles ou non tu es coincé avec nous.

Étrangement, je suis déçu d'apprendre qu'un homme tel que lui est incapable d'agir sur le monde des vivants. Le regard de Gédéon s'adoucit, il baisse les yeux en signe d'abdication.

— Bon, je reste.

Jonas se met à danser sur place, Ludu dans ses pattes. Leur enthousiasme est inégalable !

— Parfait ! Parfait ! Alors, asseyons-nous ici et passons sans plus tarder à la dégustation !

Dégustation. Chimère. Non, on ne va quand même pas...

Les PsychésWhere stories live. Discover now