5 - Fantôme

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Mon imagination est sans limite. Enfant, je m'endormais en inventant une histoire fantastique dont j'étais bien sûr le héros, ou un second rôle important. J'apprécie la lecture d'un bon roman de Science-fiction ou de Fantasy. Je possède une collection honorable de mangas mettant en scène ninjas, pirates et autres personnages loufoques dans des univers extraordinaires.

Je n'ai donc aucune difficulté à l'admettre : je suis un fantôme.

Une solution plausible ; mon cadavre disloqué git sous mes yeux, et personne ne remarque ma présence. Mort, j'ai quitté mon enveloppe physique pour rejoindre... le monde des esprits ? Une explication logique, à un détail près : j'ai la sensation d'exister, de sentir le sol sous mes pieds... d'être vivant !

Autour de moi, le monde recommence à tourner. Les premiers badauds sont déjà en voiture, à chercher un détour et la meilleure façon de raconter l'anecdote à la machine à café.

La jolie blonde – ma meurtrière – à genoux, marmonne et gémit.

— Dégage.

L'ordre sec émane de l'homme à la barbiche, en direction du Spielberg amateur. L'autre sursaute, interrompt son tournage et déguerpit. Bientôt sur YouTube ou pire, tagué sur le mur de son Facebook ? Mon cadavre offert au monde, un malheureux pantin de vingt-cinq ans ! Et personne ne saura, même à l'aide d'un zoom ou d'un arrêt sur image, que je suis en réalité debout à côté de cette coquille vide, vêtu d'un costume noir à fines rayures anthracite, sur une chemise en coton parme. À mes pieds est enfilée une paire de chaussures en cuir et à talonnettes – je ne crache pas sur quelques centimètres de plus.

— Vous me voyez ?

Cette question maladroite est la première de ma nouvelle existence. L'homme à la barbiche ne cille pas, évidemment, et poursuit la contemplation de mon cadavre, la tête enfoncée dans le col en fourrure de sa capuche. Sa main ordonne ses poils, taillés avec une attention métrosexuelle. Le petit, un téléphone portable à l'oreille, est en grande conversation avec les pompiers ou la police.

— Je pense qu'il est crevé !

La classe ! L'homme est excité. Il jette un regard nerveux à son compagnon mais l'autre l'ignore royalement, sans cesser de fixer mon corps. Il plonge la main gauche dans l'une des poches de sa parka et en sort un paquet de clopes. Une rapide tape sur le carton, et une cigarette se loge dans sa bouche. À l'intérieur de sa main droite apparait un Zippo en argent plutôt original. Sur la face est sculptée une tête de diablotin. Le suppôt de Satan tire une langue de métal pointue sur un sourire malsain, accentué par le relief.

Sa seule vue me met mal à l'aise.

La flamme jaillit, et l'homme avale une première bouffée. Puis il remonte sa capuche, et ses iris verts disparaissent, comme deux minuscules diodes avalées par la nuit.

Les PsychésWhere stories live. Discover now