20 - Le zombi

1 0 0
                                    

Le hall est presque désert. Derrière un comptoir, une femme donne ses tickets à un couple de retraités. Ludu, assis aux pieds de la grand-mère, attend patiemment la fin de la transaction.

— Salle une, à votre droite messieurs dames. Bonne séance !

Les vénérables amoureux obéissent, Ludu aux basques comme s'il était tenu en laisse. J'hésite un instant, puis passe derrière le comptoir.

Vois le côté positif des choses, Noah, tu peux profiter du ciné à l'œil !

Le grand-père ouvre difficilement la porte de la salle et, dans un effort poignant, invite sa femme. Ludu se glisse entre ses jambes. Pas de temps à perdre ! Si le battant se ferme, je serai impuissant – enfermé dehors – comme face à la grille de mon chez-moi ! Je m'élance et me faufile de justesse derrière le trio. La salle du cinéma est construite en pente. Des dizaines de sièges rouges et molletonnés forment des arcs de cercle, entrecoupées par des escaliers de moquette bleu nuit. L'écran est encore gris. Je ne connais pas le titre du film, mais je ne suis pas là pour me divertir. Je cherche déjà Ludu, qui a dû se glisser entre les rangées de sièges. Une pensée terrifiante me vient soudain : et si le chien n'était venu ici que par hasard, par jeu ? Je suis désormais enfermé, piégé ! Derrière moi, le couple descend la salle, direction les premières places. En ce début d'après-midi, le cinéma est peu fréquenté.

Un aboiement résonne sur la voute.

Au fond de la salle, je repère Ludu, dressé sur ses pattes arrière, son moignon sur les genoux d'un homme. Il lui fait la même fête qu'à moi, et l'autre lui caresse le crâne de sa main... calcinée !

Putain !

Je recule instinctivement, mais bute contre la porte. Mon cœur joue à nouveau du tam-tam – à ce rythme je vais faire une crise cardiaque avant la nuit. Ludu a trouvé un maître à son image. Ou le contraire. L'homme ressemble à un mort vivant passé au grill ! La moitié de son nez est absente. Son œil droit a complètement disparu. Les oreilles ? Un organe inutile. Seuls quelques fragments de peau rose subsistent sur le visage sombre. Sur son crâne, des touffes de cheveux roux – ou roussis – sont plantées comme de la mauvaise herbe. Ses doigts effleurent le dos de Ludu ; une caresse entre chairs carbonisées. Détail complètement dingue, l'homme porte une chemise noire élégante, et un pantalon de toile beige qu'on dirait tout droit sortis du pressing.

Je m'appuie contre la porte et pousse. En vain. Une peur primale, de petit garçon, me submerge.

Te voilà enfermé avec le croque-mitaine !

Mon instinct de survie – douce ironie – échafaude un plan en quelques secondes. Je ne dois pas montrer à ce zombi que je suis capable de le voir. Je vais me faire passer pour ce que je ne suis pas : un vivant. Ludu semble m'avoir complètement oublié, ma stratégie me paraît donc jouable.

Tu peux le faire Noah, reste calme, allez !

Je descends lentement les marches, l'air le plus décontracté possible et m'assois à la première rangée, à l'opposé du duo d'outre-tombe, bien décidé à prendre mes jambes à mon cou dès la fin du film. Avec un peu de chance, mes retraités auront la vessie pleine pendant la séance et je leur emboiterai le pas.

La lumière de la salle faiblit. Les bandes-annonces commencent. Derrière moi, j'entends un aboiement et des semelles claquer sur la moquette. Les poils de mes bras se hérissent, la chair de poule envahit ma peau. Par pitié, qu'il ne soit pas cannibale !

Les PsychésWhere stories live. Discover now