4 - L'autre-moi

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Une violente montée d'adrénaline. Pas celle qui vous électrise et transcende vos limites physiques. De la mauvaise adrénaline, qui vous gèle sur place comme un bâton d'esquimau. Souvenir numéro un : j'ai quinze ans, une bouteille de bière dans la manche. Le vigile du supermarché pose la main sur mon épaule. Le premier et dernier vol de ma vie. Souvenir numéro deux : la langue de la fille que j'aime depuis le début du collège disparait dans la bouche d'un inconnu. C'était il y a six ans, et j'y pense encore certains soirs, en attendant Lucile.

De la mauvaise adrénaline.

Là, devant mes yeux, mon corps git ; je me vois littéralement de l'extérieur ! Un Autre-moi que la foule regarde, que ce type filme. L'Autre-moi est écrasé sur le béton, façon rubik's cube compliqué. Gros bide n'avait pas tort : la scène est à vomir.

Mon bassin a tourné plus que prévu, et mon buste réalisé un demi-tour sur lui-même. Mon nez regarde le ciel, mes genoux l'asphalte. Dégingandé, le mot qu'utilisait ma mère pour décrire mon look d'ado. Pourtant, je suis vêtu d'un costard impeccable. Je peux observer mon visage car il est intact, alors que l'arrière de mon crâne est incrusté dans le goudron. Mes yeux, bleu terne, sont encore grand ouverts.

Je ne suis pas très beau : peau récalcitrante, canines désaxées, pilosité à l'avenant... mais l'Autre-moi m'hypnotise. Le culte de l'apparence, très peu pour moi, mais pour la première fois je vois l'image que je renvoie mieux que dans un miroir. Et contre toute attente, même dans cet état déplorable, je suis... agréablement surpris.

Parfaitement morbide ! Fais-toi un bisou en plus !

Ma fascination cesse quand les cheveux courts disparaissent dans une flaque de sang.

Deux hommes décrochent de la foule. Le plus petit approche de l'Autre-moi mais fait soudain volte-face, comme s'il venait de heurter un mur invisible. Son pote, vêtu d'une longue parka à fourrure, porte la main à sa barbiche. Ses yeux verts scrutent les lieux de l'accident.

Une nouvelle décharge d'adrénaline m'envahit par les pieds, retourne mon estomac, explose dans ma cervelle. L'évidence me saute au visage.

Je suis mort. Mort.

L'Autre-moi ? Un cadavre. Mon propre cadavre.

Putain !

Les PsychésWhere stories live. Discover now