Chapitre 14

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- Eh, Ayena ! Où est-ce que tu vas ?

La jeune elfe hésita, mais ne ralentit pas le pas. Sans se retourner, elle fendit la foule jusqu'à déboucher à l'air libre, dans la cour de Foxfire. Se retrouver exactement à l'endroit où elle s'était faite attaquer un jour plus tôt la mit mal à l'aise. Son regard s'attarda sur un carré de terre où l'herbe avait disparue, entièrement brûlée. Dans un furtif flashback, elle revit l'éclair lui foncer dessus.

Quelqu'un se laissa tomber dans l'herbe à côté d'elle. Elle sursauta.

- Tu cours plus vite que tu n'en as l'air, souffla Archibald, visiblement contrarié d'avoir dépensé autant d'énergie à se lancer à sa suite.

- C'est un compliment ? grimaça-t-elle.

Il haussa les épaules. Lui aussi avait le regard rivé sur la trace de l'éclair. L'éclipseuse ferma les yeux, souhaitant effacer cette vision. Cela faisait des années qu'il n'y avait eu aucun problème dans le monde elfique. Tandis que de leur côté, les humains s'acharnaient à détruire leur planète, eux avaient établi un semblant de paix entre toutes les espèces. Un nouveau traité avait été signé, les guerres claniques n'avaient pas eu lieu depuis la génération de leurs parents.

Seulement la paix était quelques choses de très instable. Les tensions entre les elfes étaient bien là. Si le Cygne Noir était toujours aussi occupé, ce n'était pas pour rien. Si les urgences au conseil se multipliaient pour Fitz depuis plusieurs mois, ce n'était pas pour rien non plus.

Les gens agissaient dans l'ombre. Et les adultes, du moins ceux qui étaient au courant - comme les deux parents d'Ayena - les mettaient à l'écart, de sorte à ce qu'ils ne sachent rien. Il fallait être perspicace pour comprendre que le monde elfique n'était pas si serein que ça. D'ailleurs, les trois quarts de la population n'avaient du se rendre compte de rien.

C'était une sorte de guerre froide.

Ayena ouvrit soudainement les yeux, bouleversée par le cour que prenaient ses propres pensées. A quoi pensait-elle ? Des complots se tramaient au sein du royaume ? Une guerre se préparait ? Était-elle paranoïaque ?

La voix de l'hydrokinésiste la ramena à la réalité :

- Tu as perdu le gadget, n'est-ce pas ?

Surprise, elle tituba. Comment était-il au courant ?

- C'est Judith qui me l'a dit, expliqua-t-il comme s'il lisait dans ses pensées.

Dans un soupir de résignation, elle s'assit dans l'herbe à ses côtés, pour admirer les rayons du soleil qui venaient taper sur le sommet de la pyramide de verre.

- Je ne l'ai pas perdu. On me l'a confisqué.

Long silence. Afin de s'empêcher de replonger dans ses pensées turlupinées, elle se tourna vers le Niveau 4 et ajouta :

- Mes parents savent quelque chose. Ça ne fait pas l'ombre d'un doute.

Il hocha sobrement la tête.

- Les Heks aussi savent quelque chose. C'est comme si ce symbole était lié à la génération de nos parents... Du temps de la guerre contre les ogres.

A ces mots, elle frissonna. « La guerre »... Elle avait horreur d'entendre ce mot.

- Ça ne me fait pas plaisir de te dire ça, mais tu as sans doute raison.

Pour la deuxième fois, le silence s'éternisa. La brise fit bruisser les feuilles et ployer l'herbe tendre, ramenant à leurs oreilles les éclats de voix des autres prodiges qui se promenaient dehors. C'était une belle journée, malheureusement gâchée par trop de secrets.

- Qu'est-ce qu'on fait ? lâcha subitement Archibald.

- Qu'est-ce que tu veux faire ?

- Je ne sais pas. Je veux t'aider. Mais en même temps, je ne sais pas comment m'y prendre.

- Moi non plus... On pourrait commencer par récupérer le seul indice qu'on a : je serais prête à parier que mes parents l'ont confié à Dex, pour qu'il l'analyse. Sinon il est dans le bureau de mon père, mais j'ai stricte interdiction de m'y rendre. Je comptais sur Errol pour me prêter main forte mais je vais devoir faire sans lui finalement.

- Vous vous êtes disputés ? Je me demandais la raison pour laquelle tu es partie aussi soudainement.

La fille Vacker baissa la tête, arrachant des brins d'herbe par irritation.

- Ne te défoule pas sur la pelouse, elle ne t'a rien fait ! protesta l'hydrokinésiste avec un sourire amusé. On verra bien ce qui se passera ce soir à Isphos. Peut-être allons-nous faire une découverte qui va changer la donne ?

- Je n'y crois pas trop, soupira Ayena.

La réponse d'Archibald se perdit dans le tintement d'un transmetteur. L'elfe brun décrocha, les sourcils froncés. Quelques secondes plus tard, il avait bondi, forçant Ayena à le suivre.

- Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? l'interrogea-t-elle.

- C'était Judith, nous sommes convoqués par la directrice, tu avais oublié ? On va être en retard !

Affolés à l'idée de se ramasser une heure de colle pour retard, les deux prodiges parcourent les couloirs de l'académie à une allure impressionnante. Arrivés en haut, ils toquèrent trois fois à la porte avant qu'on vienne leur ouvrir.

- Vous êtes en retard, cingla la voix grinçante d'une elfe aux traits tirés qui leur était inconnue.

Ayena pénétra timidement à l'intérieur du bureau. Judith et Elwin les observaient avec inquiétude, mais elle ne s'en rendit pas compte, trop occupée à détailler la présence intruse. Les cheveux châtains aux épaules, les yeux d'un bleu trop sombre, la peau hâlée, elle n'inspirait pas confiance à l'éclipseuse. Sa longue cape blanc et rouge, tout comme le reste de sa tenue, traînait au sol telle un voile de mariage. Elle avait piquée dans ses cheveux une auréole rouge. Sa présence était imposante, il émanait d'elle une forme de puissance. Elle était plutôt belle, surtout pour une elfe, cependant sa mimique cassait toute la beauté de son charme.

- Qui êtes-vous ? la questionna Ayena en pesant ses mots.

Dans la salle, pas de Linh Song en vue, pas non plus son garde du corps. Que se passait-il ? Qu'est-ce qui clochait ?

- J'aime bien ta franchise, s'esclaffa l'inconnue en lissant une de ses mèches châtain clair.

Elle ramena son regard sombre sur la pyrokinésiste qui se sentit perdre pied.

- Je suis la nouvelle directrice.

GDCP~Le retour des InvisiblesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant