Chapitre 39

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   Vêtue d'une ample cape, la tête encapuchonnée, Loïse avançait telle une ombre dans les ruelles du village. Malgré la matinée déjà bien avancée, l'ambiance était bien plus pesante que dans son souvenir. Les visages des passants étaient plus fermés, la peur presque palpable, mais ce qui la frappa le plus fut le faible volume sonore. Pember était un véritable tyran, mais cela, Loïse n'en avait pas douté une seule seconde. Heureusement pour ces pauvres gens, le cauchemar allait bientôt prendre fin.

D'un pas décidé, elle se dirigea vers le haut de la colline, là où son ancienne demeure se dressait. L'aile Est avait été ravagée par l'incendie et les murs intacts étaient recouverts de suie. Un bien triste tableau, surtout lorsqu'on avait en tête le splendide édifice d'antan.

La jeune femme opta pour la végétation luxuriante qui entourait le domaine, l'ascension par le chemin principal était trop risquée, on l'aurait repérée trop rapidement. Alors qu'elle contournait l'entrée et son chemin de gravier, elle lutta contre les vagues de souvenirs qui l'assaillaient sans pitié. Afin de réfréner ses larmes, elle se concentra sur les gardes dans le jardin. Ils étaient nombreux, sauf là où les murs s'étaient effondrés. Manifestement, les gardes évitaient cet endroit, à cause de la structure très instable.

Aussi discrète qu'un chat, Loïse sortit des broussailles, la main sur le pommeau de son épée, s'intimant de ne diriger ses pensées que sur son unique but. Elle n'avait pas le droit de renoncer, même si cela devait lui coûter d'innombrables sacrifices, comme son avenir. Non, elle ne devait pas y songer. Pourtant, l'image de Jule revenait sans cesse dans son esprit. Elle allait le décevoir, mais sa mission était plus importante. Pour sa famille, elle devait le faire.

La jeune femme se fraya un passage parmi les décombres et le bois brûlé, puis passa sous une poutre et réussit à trouver une entrée dans la demeure. Elle s'y engouffra avec un dernier regard en arrière afin de s'assurer que personne ne l'avait suivie.

Elle rasa les murs dépouillés de leurs tableaux et tapisseries et se fit invisible lorsqu'un des hommes de Pember passa à proximité. Elle attendit le moment opportun afin de se faufiler le plus discrètement possible jusqu'à l'escalier des domestiques, enfin, ce qu'il en restait. La porte menant à l'étroit couloir était défoncée et les traces noirâtres laissées par les flammes n'avaient pas été nettoyées. Une désagréable odeur de fumée s'échappait du plafond et Loïse redouta un instant qu'il ne s'effondre sur elle. Au vu de l'état du passage, il ne devait pas être emprunté par les occupants, au moins une bonne nouvelle. La jeune femme escalada trois par trois l'escalier en colimaçon, arriva à l'étage et sortit par une porte dérobée qui donnait sur un angle du couloir. Elle attendit que le silence règne et, après inspection, elle s'aventura dans le corridor.

Mais alors qu'elle reprenait son souffle, un homme émergea d'une pièce qui donnait dans le couloir. Le corsaire se figea à la vue de l'intrus et Loïse profita de ce laps de temps pour dégainer son épée. Elle se jeta sur lui dans un bond en avant, l'entraînant avec elle dans le petit salon d'où il venait de sortir. À présent à l'abri des regards, elle lui trancha la gorge d'un geste précis. Sa victime, qui n'avait pas eu le temps de se rendre compte de ce qui lui arrivait, porta la main à sa blessure d'où avait jailli le sang, avant de s'écrouler dans un gargouillis macabre. Sans se poser de question, Loïse continua son chemin en refermant la porte derrière elle.

Une fois son horrible tâche achevée, la jeune femme arpenta le couloir, l'épée bien en main. Elle s'arrêta devant la porte qui fut un jour le bureau de son père. Le moment était venu. Dans peu de temps, tout serait enfin fini. Elle posa son oreille contre le bois sculpté, mais aucun bruit ne lui parvint. La pièce était donc vide. Peut-être Pember n'utilisait pas le bureau ? Non, son ego lui dictait à coup sûr de s'asseoir dans le même siège que l'homme respectable qu'il avait froidement assassiné.

Loïse entra, sur ses gardes, mais le bureau était vide. Etrangement, aucun objet n'avait été déplacé, pas même le portrait de sa mère près de la bibliothèque. Il ne restait pas non plus trace de l'incendie.

Elle s'arma alors de patience et se plaça sur le côté de la porte, de façon à ne pas être vue si quelqu'un pénétrait dans la pièce, et attendit son heure.

Elle n'eut pas à patienter longtemps avant que des bruits de pas résonnent sur le carrelage du couloir. Le son s'intensifia jusqu'au niveau de la porte, puis se stoppa. Un froissement de vêtement, un raclement de gorge rauque, le crissement de la poignée, et la porte s'ouvrit. Loïse arrêta de respirer et contempla l'individu, un homme, qui entrait dans le bureau d'un air nonchalant. Même de dos, elle n'eut aucun doute, il s'agissait de Pember.

Lentement, elle referma la porte alors que le corsaire s'avançait vers la bibliothèque, ignorant tout de son sort prochain. Le bruit de la serrure qui se verrouillait le fit se retourner brusquement. Il porta la main à un pistolet accroché à sa ceinture. Alors qu'il le braquait sur l'intrus, Loïse bondit vers lui, trop lentement. Le coup de feu partit et elle sentit une douleur lancinante sur son flanc droit. Mais elle oublia aussitôt la blessure. Devant elle se tenait l'assassin de son père et il était hors de question de reculer.

Dans son élan, elle percuta Pember de plein fouet et tous deux tombèrent lourdement à terre. Un peu sonnée, Loïse dégagea sa cagoule qui réduisait fortement sa visibilité. Elle repéra l'arme à feu de Pember plus loin sur le sol, près du bureau. Elle jeta un coup d'œil à son ennemi, tout en remarquant la blessure sanguinolente sur sa tempe que la chute lui avait causée. Pember, lui aussi, avait repéré l'arme qui avait atterri au sol. Tous deux savaient que le pistolet était leur planche de salut. Simultanément, ils rampèrent rageusement vers l'objet tant convoité. Pember poussa un cri de guerre et attrapa son bien le premier mais Loïse agrippa sa lame et, avant que le corsaire ait pu esquisser un geste, elle lui trancha le genou, lui arrachant un hurlement de douleur et de haine. Pember braqua le canon sur le visage de Loïse mais la jeune femme avait déjà la pointe de son épée prête à lui percer la gorge. Ils s'immobilisèrent tous les deux, guettant le moindre mouvement de l'autre.

— Gardes ! hurla soudainement Pember. Gardes !

— Ils n'arriveront pas à temps, cracha Loïse en enfonçant un peu plus la lame dans la peau. Je t'aurai déjà tué !

Le corsaire rapprocha son pistolet de la jeune femme en réponse à sa provocation. Alors qu'il la fixait, un éclair éclaira son œil valide, et son visage se tordit dans un rictus sadique.

— Tu es la fille Sansay, pas vrai ? Tu es là pour venger ton incapable de père ?

Loïse serra les dents et lui cracha à la figure, hors d'elle.

— Et bien tue-moi, petite. Vas-y.

Pember lâcha son arme qui tomba dans un bruit de métal sur le sol et leva les mains au-dessus de sa tête. Une lueur de folie le fit soudainement partir dans un fou rire incontrôlable et, dans un grand fracas, les gardes du corsaire se ruèrent dans la pièce, encerclant Loïse en la menaçant de leur épée. L'entrée en fanfare de ses hommes renforça l'hilarité de Pember, à tel point qu'il bascula la tête en arrière pour exprimer sa victoire.

Sans une once d'hésitation, se sachant perdue, Loïse plongea d'un geste précis la lame de son épée dans la gorge du meurtrier de son père. Le rire sadique se stoppa net. Lorsqu'elle enfonça encore plus son épée, la tête de Pember retomba vers elle, ses yeux la fixant d'un regard surpris. Il s'était trompé, elle avait finalement eu le cran de le tuer. Loïse sentit une exaltation et un triomphe sans pareil alors qu'elle retirait son arme de la gorge de sa victime, d'où jaillit le sang qui lui gicla au visage, et Pember tomba à terre. Pendant que son corps convulsait, le rouge se répandait autour de lui tel un halo, et Loïse versa une larme. Tout était fini.

Les gardes se jetèrent sur elle comme un seul homme et elle sentit qu'on lui portait un coup à la tête. Avant qu'elle ne sombre dans l'inconscience, elle pensa à son père, enfin vengé, et à Jule, qu'elle avait trahi.


Loïse des VentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant