Chapitre 26

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   Alors qu'elle sortait de la cabine du capitaine, Loïse prit une grande inspiration et tendit les mains devant elle. Encore une fois, inspirer, expirer. Ses doigts arrêtèrent de trembler, et elle se détendit. Elle n'eut pas le temps de faire le point sur ce qui venait de se passer car Henry accourait vers elle.

Henry était le trésorier du Vesta. Un poste vital qu'il avait obtenu quand Pat s'était rendu compte qu'il savait lire, écrire et compter. Chose assez rare dans la piraterie pour être soulignée. Henry était un homme jeune, blond, avec une corpulence fine et élancée. Il n'était pas taillé pour le combat, on le remarquait du premier coup d'œil. Il avait donc accepté avec joie le poste de trésorier lorsqu'on lui avait précisé qu'il ne participerait pas aux abordages. Un homme ayant la connaissance de l'arithmétique était trop précieux pour prendre le risque de le perdre. Contrairement à ce que l'on aurait pu croire, il ne fût l'objet d'aucune moquerie. Henry était très respecté par l'équipage malgré son physique de fil de fer. Il faut dire qu'il était l'un des plus anciens membres du Vesta. Loïse ne connaissait pas les détails, mais des rumeurs circulant parmi l'équipage racontaient que Loys avait sauvé la vie d'Henry, ce dernier avait alors juré de rester à ses côtés et de le soutenir pour payer sa dette. Cette rumeur faisait de lui un atout précieux pour le vote. Loïse s'en était tout de suite rendu compte.

— J'ai fait comme tu m'as demandé, annonça Henry. Loys est au courant et Tom a lancé la rumeur parmi les hommes. D'ici demain matin, tout le monde ne parlera plus que de ça !

— Merci Henry, répondit Loïse avec un sourire sincère. Maintenant, la victoire de Loys est à portée de main.

— Oui, c'est pour la bonne cause. Mais ça m'a fait bizarre de mentir au capitaine.

— Ne t'inquiète pas, va. On fait ça pour sauver sa peau.

Et la mienne aussi, pensa la jeune fille.

Voilà, à présent, le point de non-retour venait d'être franchi. Loïse avait demandé à Henry et Tom de faire circuler des on-dit sur des disparitions de rhum. À ce qu'il parait, ce serait Fabian qui serait à l'origine de cette consommation clandestine. Si les rumeurs circulaient bien, tout l'équipage serait au courant demain matin. Ils se demanderaient alors si tout cela était avéré. Quelques-uns des partisans de confiance de Loys répondraient qu'ils avaient vu Fabian saoul pendant son quart, renchérissant que son acte de trahison devait être puni de mort. Après tout, le vol était un acte très grave sur un navire. Fabian perdrait à coup sûr des alliés, et Loys en gagnerait. Mais si le mensonge de Loïse venait à être découvert, elle ne donnait pas cher de sa peau...

Elle posa une main sur l'épaule d'Henry et lui sourit. Ce dernier se détendit un peu devant la confiance que Loïse affichait. Mais il n'en était rien. Sous son masque, elle était morte de trouille. Elle ne devait pas faire un seul faux pas, ou le secret de sa féminité serait révélé. Elle avait eu très peur pendant son entrevue avec son capitaine. Elle avait réellement pensé que c'était la fin ! Heureusement, Loys se fourvoyait totalement sur elle. Amoureuse de Julia ? Quelle drôle d'idée ! Ce n'était pas pour la jeune espagnole qu'elle avait des sentiments. Attendez, qu'est-ce qu'elle venait de dire ? Non, elle s'était mal exprimée : elle n'avait des sentiments pour personne, bien évidemment. N'est-ce pas ? Mais alors, pourquoi avait-elle eu si peur lorsque que Loys s'était immobilisé sous le choc des propos de Loïse ? Instinctivement, elle était venue vers lui. La seule idée qu'il lui arrive quelque chose l'angoissait au plus haut point, bien plus que son sort. Était-ce pour sa propre survie qu'elle se démenait ainsi pour réunir des votes ? Ou bien seulement pour l'homme qui se trouvait là, tout près, juste derrière la porte devant laquelle elle se tenait ?

Toutes ces questions tourbillonnaient dans sa tête et dans son cœur lorsque Henry lui annonça qu'il devait aller dormir. Elle lui souhaita une bonne nuit avec une voix qu'elle voulait assurée. La concernant, il était inutile d'essayer de dormir. Le vote était pour bientôt. Bientôt... Et tout était prêt pour la bataille.

***

Le lendemain, le soleil était à son zénith et faisait régner sur le pont une chaleur insoutenable, pas un brin de vent. Au centre se tenait un des prétendants au titre de capitaine du Vesta. Fabian bombait le torse, les bras croisés, un air triomphant sur le visage. Il prit une grande inspiration et beugla :

— Mes chers frères, le temps des paies de merde est révolu ! Je demande un vote ! Ici, et maintenant ! Que notre bon à rien de capitaine sorte de son trou à rat pour affronter son destin !

Loïse, sa serpillière à la main, se crispa. Déjà ? Mon dieu, elle ne s'attendait pas du tout à cela lorsque, ce matin, elle s'était attelée à sa tâche de mousse, c'est-à-dire laver le navire. Ça y est, ils y étaient : le vote. La jeune fille retrouva bien vite le contrôle de son corps, et après un rapide coup d'œil entendu avec Tom, elle courut le plus discrètement possible vers la cabine de Loys. La tâche fut relativement aisée car les membres de l'équipage s'étaient tous rassemblés en cercle autour de Fabian. Alors qu'elle pénétrait dans la pièce mal éclairée, elle entendit Fabian hurler le nom de Loys en lui ordonnant de sortir. La jeune fille poussa un long soupir, ferma la porte à clé et s'appuya dos à celle-ci.

Loys était avachi sur la chaise de son bureau, les coudes sur les genoux et la tête dans les épaules. Il regardait droit vers le sol, à croire que les motifs de son tapis étaient la chose la plus captivante qu'il n'ait jamais observée. Loïse faillit ne pas le voir, son imposant bureau le cachant presque entièrement. Il ne réagit pas lorsque la jeune fille se rapprocha de lui. Ce ne fut que quand elle posa ses mains sur ses épaules qu'il daigna la regarder dans les yeux. Ce que Loïse vit la glaça d'effroi. Son regard était las, toute trace d'envie de vivre avait disparu. La couleur bleue de ses yeux n'était qu'un lointain souvenir, laissant place à un gris délavé d'une tristesse infinie. Mais là, tout au fond de ses pupilles, elle aperçut une infime lueur. Une lueur d'espoir. Plus Loys prenait conscience de la personne qui se tenait en face de lui, plus l'espoir grandissait et dansait en lui. Alors, il prit les mains de Loïse dans les siennes, puis les lâcha aussitôt.

Loys se surprit lui-même. Ce geste avait été instinctif, naturel. Il continua à fixer Loïs, la surprise se lisant sur ses traits. Mais le mousse se reprit bien vite et son masque de confiance se reforma.

Il faut y aller ? demanda Loys dans un souffle.

Pour seule réponse, Loïs hocha la tête lentement. Puis, chuchota :

— Tout va bien se passer, je vous le promets.

Alors Loys se leva et, le mousse derrière lui, ouvrit la porte donnant sur le pont. Ses yeux se plissèrent à la lumière du soleil, ayant passé plusieurs jours dans l'obscurité. Il se redressa et se dirigea vers la foule qui s'écartait sur son passage.

À cet instant, Loïse sourit. Son capitaine marchait avec assurance et autorité, elle avait retrouvé le Loys qu'elle aimait tant. Elle se fraya un chemin parmi l'équipage et se tint au premier rang. Tout allait bien se passer.

Loïse des VentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant