Loïse des Vents

Chapitre 2

Loïse descendit les marches de l'entrée et sortit dans le jardin, attendant la carriole qui devait l'emmener au village, en ce bon matin ensoleillé. Habillée d'une robe bleu sombre où se superposaient dentelles et délicates étoffes, coiffée d'un chignon serré, la jeune fille avait fière allure. Néanmoins, elle avait très mal aux pieds à cause de ses chaussures à talons.

Elle mit sa main en visière pour chercher la carriole du regard, empêchant ainsi les rayons du soleil de l'aveugler. L'attelage se trouvait sur la route de terre tortueuse bordant la propriété, seule voie d'accès au village par voiture. Une fois montée, la jeune fille fit le voyage en regardant défiler le paysage et en parlant à Gwendoline qui l'avait accompagnée.

Mais un problème se présentait : si Loïse souhaitait approcher les corsaires aujourd'hui, il faudrait d'abord qu'elle se débarrasse de sa femme de chambre. Elle avait bien sûr refusé toute escorte, mais son père avait insisté, alors Gwendoline s'était proposée de l'accompagner.

La calèche s'arrêta, et lorsque la jeune fille en descendit, ses chaussures résonnèrent sur les pavés de la place du village. Ici grouillait un monde hétéroclite composé de paysans venus vendre leurs récoltes et d'habitants aisés du village. Cette atmosphère bourgeoise ne plaisait guère à Loïse. Elle n'avait qu'une envie : aller au port et contempler les bateaux, et par la même occasion, rencontrer les corsaires. Elle commença alors à se frayer un chemin parmi la foule lorsque qu'un homme monta sur l'estrade en bois au milieu de la place et attira l'attention des passants. L'homme portait une perruque blanche bouclée et était habillé de façon très distinguée.

— Mesdames et messieurs ! clama-t-il en dépliant un bout de parchemin qu'il commença à lire. J'ai une grande nouvelle à vous annoncer ! J'ai là l'information de la quatrième arrestation du capitaine pirate Alexander Dalzeel : il a enfin été pendu pour ses crimes à Londres ! Et sous les yeux de sa Majesté elle-même !

La foule se mit alors à pousser des cris de joie en levant les bras pour les femmes et en secouant les chapeaux pour les hommes. Même Gwendoline exprimait, en criant, sa joie de savoir le pirate mort. Seule Loïse resta de marbre, se renfermant sur elle-même. Elle regardait ces gens se réjouir de la mort d'un homme, aussi mauvais fut-il. Sa pendaison était peut-être méritée, mais de là à crier de joie... Loïse trouvait cela totalement absurde.

Profitant du fait que Gwendoline acclamait avec les autres, elle s'éclipsa discrètement. Loin de la foule et enfin au calme, elle prit le chemin du port. Les rues étaient désertes, hormis les esclaves qui travaillaient et auxquels Loïse souriait pour tenter de leur offrir un peu de sympathie. Même si elle n'obtenait que très peu de retours, elle ne se décourageait pas pour autant.

Les maisons s'espacèrent de plus en plus pour laisser place au ciel bleu et au ponton sur lequel les vagues venaient s'écraser dans un doux clapotis. Loïse inspira à pleins poumons et l'air salé emplit son corps tout entier. Elle regarda autour d'elle et commença à marcher le long des bateaux amarrés. Elle inspecta chacun d'eux minutieusement, admirant le moindre détail de la coque à la proue, en passant par tous les mâts. Elle adorait les bateaux, bien qu'elle ne connût presque rien à la navigation. Elle avait maintes fois demandé à son père de se procurer des ouvrages sur cet art, mais il avait refusé, argumentant qu'une femme n'avait pas l'utilité de connaître ce genre de renseignements. Encore quelque chose que Loïse trouvait absurde. Pourquoi les femmes n'avaient-elles pas le droit de se battre à l'épée ? De tirer au pistolet ? De voguer sur les mers, comme les hommes ? Ses cours d'escrime et de tir, la jeune fille les avait obtenus en bataillant pendant des mois avant que M. Sansay ne consente à donner son accord. L'argument décisif avait été « qu'une femme a toujours besoin de savoir se défendre », bien que son père n'ait pas le même point de vue que sa fille sur la question.