Bungo Stray Dogs - Soukoku - UA

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Instruments à couleurs

Il résonne. Son timbre nous plonge dans la mélancolie d'un temps perdu.

En attendant leur train dans le somptueux hall de la gare au sol joliment carrelé de crème et de marron, Atsushi avait remarqué ce vieux piano brun aux touches légèrement jaunies dans un coin, disponible pour tous ceux qui souhaitaient égayer leur journée ou leur attente. Il était vide, le vieil homme qui y jouait à leur entrée avait quitté l'instrument sur la musique d'un vieux film qui avait traversé les générations. Atsushi n'avait jamais vu ce film mais il en connaissait la bande originale quand même. Tanizaki la lui avait déjà jouée une fois à la guitare et l'argenté avait bien aimé ce rythme entraînant. Toujours étant que maintenant la gare était bien calme, enfin en dehors des bruits ambiants d'un bâtiment public : soit la voix aigüe des enfants ou les voyageurs paniqués de ne pas trouver leur train, de le voir retardé ou supprimé. Atsushi jeta un coup d'œil à son collègue à ses côtés, qui était sur son téléphone à embêter un de leurs amis communs et lui révélant qu'une surprise l'attendait chez lui. Évidemment l'ami en question, Kunikida, n'avait pas attendu pour incendier Dazai en le traitant de tous les noms. L'argenté sourit devant les messages en majuscules que lui montrait son aîné avec fierté.

" Dazai, tu as déjà joué du piano non ? "

Bien qu'il connaissait déjà la réponse grâce à Kunikida, Atsushi le questionnait par politesse. Il n'avait jamais abordé le sujet, le blond l'avait mis en garde, c'était délicat. Mais la curiosité revenait à la charge à chaque fois qu'elle en avait l'occasion comme aujourd'hui avec ce piano.

" C'était il y a longtemps. "

Bien que Dazai avait gardé son air décontracté et léger, le cadet avait perçu une retenue dans sa voix. Ce n'était pourtant pas dans les habitudes du brun de se laisser affecter par ses émotions.

" Puisque le train est en retard, je me disais que peut-être-

- Atsushi, le coupa-t-il, que veux-tu que je joue ? Demanda-t-il alors qu'il se dirigeait vers le vieil instrument de la gare."

Dazai prit le temps de passer ses doigts sur le bois, descendant jusqu'au clavier sans appuyer dessus. Il déplaça légèrement la banquette noire afin de s'y asseoir et d'avoir un bon accès aux pédales. Il était plus grand que le joueur précédent. L'argenté avait remarqué le fin sourire de son aîné devant l'instrument. Il semblait empli de nostalgie. Atsushi ignorait pour quelle raison il avait accepté de jouer. Pourquoi lorsque la main de Dazai avait survolée le piano elle semblait brûler à son contact comme s'il commettait un sacrilège. Maintenant immobile, le brun avança ses mains en suspens au-dessus des blanches, prêtes à les frapper avec vigueur et élégance. Il tourna sa tête vers son camarade toujours en attente d'une réponse de celui-ci. Mais Atsushi ne savait pas, tout ce qu'il voulait c'était l'entendre. Il était certain que Dazai était un virtuose, ses mains longues et délicates le prouvaient. Il plongea. Les premiers sons étaient timides, lents comme les retrouvailles de deux vieux compagnons de fortune et c'est ce qu'ils étaient. Dazai s'était lancé dans le piano assez jeune par ennui. Un moyen pour lui de le maintenir occupé quand il était seul et il l'était souvent alors il avait eu le temps se perfectionner dans cet art des silences. Il enchaînait les accords sous les yeux captivés d'Atsushi. Il était transporté par le spectacle qu'offrait son aîné. Son corps se mouvait au rythme de la mélodie enjôleuse, ils étaient entrés en résonance. Tout était limpide comme de l'eau fraîche dévalant les pentes vertigineuses d'une montagne. Le temps semblait s'arrêter sur cette valse qui hurlait de sentiments écorchés. L'argenté ressentait une peine effroyable et profonde, celle de Dazai certainement. Cependant à voir son visage si calme, on croirait à un adieu doucement murmuré du bout des lèvres de peur qu'il ne soit trop brutal, trop rapide, trop abrupte. Mais pour qui ? Le brun fit trembler les dernières cordes dans la gare qui s'était tue pour lui. Une seconde de silence encore avant que des applaudissements résonnent dans le hall. Dazai et Atsushi furent surpris, ils avaient tellement été envoûtés par leurs songes qu'ils ne s'étaient pas aperçus du monde qui s'était réuni autour d'eux. Avec fierté, Dazai se leva pour effectuer une révérence tout en remerciant ses auditeurs de quelques minutes. Atsushi était heureux de l'avoir enfin entendu et ce n'était pas le seul par en juger par le jeune homme roux qui s'approchait d'eux avec une grande housse noire qui dépassait de son dos et un sourire éclatant.

One-ShotsWhere stories live. Discover now