Tokyo Revengers - Chifuyu Matsuno

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Noyés

Il marchait sur la jetée abimée par le sel. Il marchait sur le ponton en bois empli de sable. Bras dessus bras dessous avec la mer, il marchait.

Ses vieilles chaussures aux pieds le trainaient sur un chemin qu'il n'avait plus emprunté depuis. Itinéraire mécanique, il poursuivait les empreintes de son adolescence, dont la silhouette éthérée déambulait juste à côté sur les bancs de sable à la recherche de jolis souvenirs. Trésors de l'eau qu'il finissait toujours par oublier au fond d'un sac ou d'un tiroir, et qu'il retrouvait alors qu'il enquêtait sur une autre disparition.

Des années avaient passé depuis sa dernière venue, pourtant rien ne semblait avoir plus vieilli que les traits de son visage. Il se rappelait de chaque intersection qu'il avait du traverser pour rencontrer l'étendue qui mouillait maintenant ses pieds.

Ses souliers usés à la main, il souleva ses pieds dans l'eau, éclaboussant son pantalon retroussé, avant de les enfoncer inlassablement dans le sombre sable boueux. Le vent souleva les vagues tandis qu'il remettait inutilement ses cheveux derrière ses oreilles rougies par le matinal soleil ensommeillé.

Son regard se perdait dans les dunes minusculement modelées par un mistral maladroit. L'écume se dérobait en sillant le sol de centaines de stries alors qu'il se retournait sous le souffle du vent.

Il se tenait là, au loin, ce petit point d'homme. Sa silhouette stable s'extirpant de l'horizon sulfureux, il la scrutait sensiblement. Indiscernable dans le lointain où il se trouvait immobile, il devinait ses traits mais aucunement ses intentions.

Son buste se projeta vers l'avant alors que ses pieds le faisaient pivoter pour s'élancer lentement vers lui pendant que, de ses yeux, il l'évitait. Quelle envie avait-il eut de faire demi tour à chaque avancée ? Les grains de sable collaient à sa peau le recouvrant jusqu'aux chevilles tandis qu'il esquivait les coquilles brisées en marchant dans ses propres pas.

Au loin, ses longs cheveux soyeux se superposaient à son visage soulignant l'anonymat de ses souhaits. Il souriait, probablement, pourtant ce petit point d'homme gardait sa pose. Ses chaussures toujours à ses pieds, sondaient son arrivée sans esquisser la moindre tension. Il était comme un phare sur cette jetée et pourtant sa lumière s'était éteinte, depuis plusieurs vies.

Plus les pieds mouillés s'avançaient, plus les souvenirs s'évanouissaient dans leurs pas. Ce petit point d'homme ne l'était plus. Sa silhouette se discernait nettement dans le paysage de nacre alors que son visage demeurait toujours aussi indescriptible que le mirage d'une oasis malgré le rapprochement.

L'acolyte de la mer s'arrêta en lui faisant face, prêt à se retirer avec les vagues du sable clair ne laissant que des stries dans les songes brumeux de son vis-à-vis. Il le voyait à présent, ce survivant des eaux troubles qui se hissait de toute sa hauteur dos au vent.

Un sourire creusa leurs joues salées. Ils leur semblaient à tout deux entendre, parmi les embruns et l'écume, les échos du chant d'une sirène. Celle qui les avait plongés, il y a des années, dans des courants vertigineux où ils avaient nagé avec des monstres marins. Pourtant aucun de leurs sourires ne se tarirent, cette mélodie ils l'avaient désespérément cherchée autant qu'ils l'avaient haïe et chérie.

Parfois ils prononçaient son nom dans un soupire, un cri, une supplique. Leurs sentiments coulaient à flot ardent jusqu'au débordement face à ce reflet qu'ils apercevaient du coin de leur mémoire. Et ils restaient là, à contempler la mer en espérant l'entendre prononcer leurs noms.

"Chifuyu, on partage ?"

"Kazutora, tu viens ?"

Seulement, seul le silencieux souffle du vent vint effleurer leurs oreilles. La voix de leur sirène s'était noyée depuis longtemps. Le navire avait chaviré entraînant avec lui le radeau de la Méduse et ses naufragés torsionnés. L'eau s'était engouffrée dans ses poumons alors que sa main tentait d'atteindre le rivage.

Ils l'avaient longuement sentie, cette fraîcheur parasitant leurs membres. Ils l'avaient longtemps nié, cette avarie en haute mer. Pourtant, aujourd'hui, face à face, ils lavaient tous les deux leurs torpeurs à l'eau salée. Ils s'étaient noyés à trois et pourtant seulement un seul d'entre eux n'était pas remonté à la surface.

One-ShotsWhere stories live. Discover now