Un par jour

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Le voilà ! Je l'ai enfin trouvé. C'est étrange. Il est différent de ce que j'avais cru. Mais d'un autre côté, c'est logique. Ils ne peuvent pas être comme tous ceux que j'ai toujours connu, les battements de mon cœur. Un par jour. On dit que la durée de vie moyenne d'un être vivant est rythmée par le nombre de battements de son cœur. Ainsi un moineau, dont le rythme cardiaque file, vivra bien moins longtemps qu'un lion ou même un éléphant. A mois qu'une fatalité n'abrège leurs vies. Et c'est ça que je dois éviter à tout prix, une fin prématurée.

Ma déesse m'a accordé une faveur exceptionnelle pour remplir une mission. Une mission de la plus haute importance ! Et j'en suis honoré. Mais alors qu'est-ce que je m'ennuie à rester à longueur de temps assis près de la cascade de Rozen. J'ai toujours été plein d'entrain et d'énergie. Alors resté immobile, ça ne m'a pas paru bien difficile au début. C'est un peu comme méditer toute la journée. Seulement, ce n'est pas vraiment mon truc, de méditer toute la journée. J'ai besoin de bouger. Mais mon cœur s'y oppose. Si j'ai une activité physique trop intense, mon organe vital me rappelle qu'il ne peut pas assurer. Pas avec un seul battement par jour ! Alors il a bien fallu que je réfrène mon entrain. J'étais tellement plein d'enthousiasme que je ne me suis pas rendu compte tout de suite que c'était une mission sur deux ans. Deux cents ans ! Qui peut rester assis pendant deux cents ans et resté motivé ? N'importe qui trouverait ça long ! Surtout pour moi qui suis quelqu'un de dynamique ! Mais bon, je n'envie pas pour autant la place de Shion. Même s'il est entouré, sa charge doit être pesante ! Alors même si je suis seul en pleine nature, je prends mon mal en patience. Après tout, il y a pleine de distractions dans la nature ! N'est-elle pas toujours pleine de surprises ? On ne s'ennuie donc jamais avec elle.

La plus évidente des distractions d'abord. Difficile de passer à côté de la cascade de Rozen. Assis en tailleur, les yeux fermés, je l'écoute. J'entends son grondement semblable à celui d'un dragon. Ma respiration semble disparaitre dans le tumulte des eaux. Le grondement perpétuel de la cascade occupe tout l'espace. Je n'entends qu'elle. Je la sens vibrer dans l'air, dans le sol. Elle est partout. Même en moi, je la sens vibrer. Je vis à son rythme. Je suis la cascade. Je chevauche le dragon rugissant par de-là l'horizon. Je perçois la respiration des arbres qui m'entourent et je ne peux m'empêcher de leurs sourire. Je suis comme eux, un élément du décor. Triste réalité qu'est la mienne. À rester ainsi immobile, je suis ainsi devenu aussi transparent qu'un arbre. Les animaux ne m'identifient plus comme un être humain, comme une menace. Même lorsque je bouge, ils ne s'effraient pas. Mes mouvements sont tellement lents. J'ai appris. Mon unique battement cardiaque journalier m'interdit d'aller plus vite.

Combien de temps s'est-il écoulé depuis la dernière guerre sainte. Impossible à dire. J'ai regardé le temps passer au seul rythme de la nature, sans le voir défiler. Les jours et les nuits se sont succédés, tout comme les saisons et certainement les années qui m'ont amené la canne avec laquelle je marche désormais. J'ai l'air si vieux et si fragile. Même mon cosmos est en veille. Désormais, mon cœur, je le sens battre tous les jours, inlassablement. Jusque-là, j'ai pu réchapper à tout. Il faut dire qu'il ne m'est pas arrivé grand-chose dans ma vie d'arbre. Pour un peu, j'aurai pu prendre racine ! Mais il est temps, je crois, de mettre un peu d'agitation dans ma tranquillité. Il est temps de prendre un disciple. Une nouvelle génération de chevaliers va s'engager dans une nouvelle guerre sainte. Ma dernière bataille.

OS en pagailleWhere stories live. Discover now