Encierro

57 3 2
                                    

Il était impatient de voir les bêtes. Ses parents avaient fait spécialement le voyage en Espagne. Et pour l'occasion, la ville avait revêtu ses couleurs de fêtes. Une fête non seulement réputée mais aussi très attendue. Et les lâchés de taureaux l'étaient encore plus. Les plus téméraires courraient devant eux, des centaines de personnes, les autres resteraient presque sagement sur les côtés. Mais leurs cris d'allégresse encourageraient les coureurs, tous vêtus de blanc. Seule note de couleur, un foulard rouge noué au cou. Ils attendaient le signal de départ.

Bien qu'âgé de quatre ans seulement, l'enfant ne montait déjà plus sur les épaules de son père. Il était trop grand, aussi grand qu'un garçon de sept ou huit ans. Et costaud en plus ! Il faut dire qu'il avait bon appétit, le petit Paulo. Mais il était un garçon bien proportionné et en pleine forme. Seulement il promettait d'être très grand et bâti comme une montagne ! Mais aussi grand soit-il pour son âge pour le moment il ne voyait rien, caché dans cette foule. Son père lui avait promis de le porter un instant lorsque les taureaux passeraient devant eux. En attendant, l'enfant regardait avec envie l'homme qui se trouvait près de lui. Un géant même pour le garçon. Il dépassait largement tout le monde. Les bras croisés sur son torse puissant, il devait absolument tout voir et même plus que les autres. Et Paulo regrettait que son père ne soit pas aussi grand, il pourrait ainsi rester sur ses épaules et tout voir. Et puis, peut-être que, plus tard, il serait aussi grand que cet homme et là, il pourrait tout voir. Il avait hâte.

Des cris.

Paulo tenta de se faire plus grand encore tout en tirant sur la manche de son père. Mais il ne voyait que des gens. Il appela son père. Il allait tout rater ! Enfin, l'adulte se décida à le prendre dans ses bras. L'enfant s'accrocha aussitôt à son cou. La tête tournée, il aperçut la foule blanche commencer à bouger. Leurs habits d'un blanc éclatant se reflétaient dans les yeux du garçon. Ils couraient plus en regardant derrière eux que devant. Leur excitation était contagieuse. La foule criait, les haranguant, leurs cœurs battant à l'unisson.

Enfin, Paulo les entendit. Les sabots martelant les pavés de leur fougue. Il tira sur son cou pour tenter de les voir. Mais il ne vit que leurs cornes apparaissant tout juste au loin pendant un bref instant. Il était lourd dans les bras de son père et celui-ci ne put le porter plus longtemps. Déçu, le jeune garçon se retrouva de nouveau au sol, au milieu de la foule surexcitée. Il était contrarié, il n'avait rien pu voir.

Alors il fila au milieu des gens. C'est qu'il était rapide malgré sa stature et s'il ne passait pas, il bousculait. Le temps que les gens réagissent, il était déjà parti. Ouf, il était arrivé juste à temps. Les bêtes approchaient, il sentait le martèlement de leurs sabots dans le sol. Des étoiles dans les yeux, le garçon admira les animaux foncer droit dans la foule blanche qui courait devant eux. Eux-aussi bousculaient ces inconscients qui voulaient se mesurer à eux. Et tant pis pour ceux qui perdaient l'équilibre, ils étaient piétinés sans ménagement. Tant pis pour ceux aussi qui avaient le malheur de se retrouver coincé contre un mur, ceux-là goûteraient aux cornes des puissantes bêtes. Paulo admira la puissance de ces deux taureaux courant côte à côte et entre eux, un homme courait aussi. Il s'était retrouvé pris entre les deux bestiaux. Il sembla trébucher et disparu, comme englouti. Le garçon voyait leur force brute. Ils fonçaient droit devant eux et tant pis pour ceux qui ne couraient pas asses vite, ils goûteraient de leur puissance et avec de la chance, ils s'en sortiraient indemnes. Aucune pitié n'était accordée. Pas même à cet enfant qui avait eu l'inconscience de sortir de la foule pour se mêler aux hommes.

Leurs regards se croisèrent. La bête et l'enfant. Il était devenu sa cible en une fraction de seconde et l'animal fonça droit sur lui. Toujours immobile, par inconscience du danger ou par fascination, Paulo regardait le taureau avancer. Il fixait ses yeux sombres. Il avait l'impression de se voir dedans. Il voyait comme au ralenti chacun de ses mouvements. Un geste après l'autre. L'enfant admirait la puissance de l'animal qui se ruait sur lui.

Plus rien d'autre n'existe. Le temps est suspendu pour une fraction de seconde. Il tend la main comme pour stopper la course effrénée de la bête. L'animal souffle puissamment dessus. Il le voit nettement. Le garçon brille. Autour de lui rayonne une puissance que la bête ne pouvait que respecter. Il laisse alors la main enfantine caresser sa course avant de continuer la poursuite des hommes, plus heureux que n'importe lequel de ses semblables et ce même s'il ne fait aucune victime.

Une brève rencontre, une caresse de celui qui se battra un jour sous sa protection.

L'enfant s'était tourné pour regarder, émerveillé, les bêtes disparaître. Il était content. Il avait vu l'un d'eux de près. De très près ! Le taureau avait couru lentement devant lui et il avait même pu le caresser !

Il racontait sa rencontre extraordinaire à ses parents fous d'inquiétude d'avoir retrouvé leur fils sur le chemin de ses montres.

Toujours immobile dans la foule, le géant regardait ce « petit » garçon parler avec enthousiasme. Un jour, il prendrait sa place.


Oops! This image does not follow our content guidelines. To continue publishing, please remove it or upload a different image.
OS en pagailleWhere stories live. Discover now